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pâlissait déjà de la couleur des tombeaux ! Tout l’or donné à l’Art quand la vie en manque est perdu pour l’Esthétique vivante, et c’est une honte de chercher quelque joie dans le luxe des toilettes de quelques femmes quand d’autres femmes manquent de quoi se vêtir et, par le froid, la maladie et la langueur d’une vie insalubre, perdent toute humaine beauté.

Alors les économistes surgissent avec l’ironique sourire qu’ont, dans les portraits d’Holbein, les hommes très savants. Car si l’on attaque le luxe au nom de la charité, au nom de la science ils le défendent. Une de leurs théories les plus chères — et aussi les plus aventurées — est que peu importe la façon dont le riche dépense son or pourvu qu’il le dépense, et même que plus il le dépense en objets de luxe, éphémères, plus il vient efficacement en aide à la société. « Une idée très fausse, dit un Rapport des Councilmen de New-York, est que de vivre luxueusement, de s’habiller d’une façon extravagante ; et d’avoir de splendides maisons et équipages, soit une cause de malheurs pour une nation. Rien de plus faux. Chaque extravagance que se permet un homme de cent mille ou d’un million de dollars ajoute à la vie, à la fortune de dix ou de cent hommes qui n’ont rien ou qui ont peu