Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/314

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prit, de volonté et de jugement. « N’est-il pas merveilleux que, tandis que nous serions profondément honteux d’user de notre supériorité physique pour jeter hors d’une place avantageuse des camarades plus faibles que nous, nous usons sans hésitation de notre supériorité d’esprit pour les jeter hors de toute espèce de bien que peut atteindre la supériorité de l’esprit ? — Vous vous indigneriez si vous voyiez un robuste gaillard s’installer de force à une table où l’on est en train de rassasier des enfants affamés, étendre son bras par-dessus leurs têtes et leur retirer leur pain. Mais vous ne vous indignez pas le moins du monde de le voir faire à un homme qui a de la robustesse de pensée et de la rapidité de conception et, au lieu d’avoir seulement de bons bras, possède le don beaucoup plus grand d’une bonne tête. Vous pensez qu’il est parfaitement juste qu’il emploie son intelligence à tirer le pain de la bouche de tous les autres hommes, dans la ville, qui font le même commerce que lui !… »

Mais, dira un économiste, cette concurrence ou, si l’on veut, cette lutte, c’est l’âme même du commerce ! Sans elle, il n’est plus d’émulation, plus de progrès, plus d’efforts, plus d’affaires et, partant, plus de salaires pour les ouvriers ! Qu’elle écrase, çà et là, quelques imprudents et quelques maladroits, c’est aussi triste qu’inévitable et c’est la loi