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beauté. Aucune face humaine n’est exactement la même dans ses lignes des deux côtés ; aucune feuille n’est parfaite dans ses lobes, aucune branche dans sa symétrie. Toutes souffrent l’irrégularité et impliquent le changement, et bannir l’imperfection, c’est détruire l’expression, arrêter l’effort, paralyser la vitalité. Toutes les choses sont littéralement meilleures, plus charmantes et mieux aimées pour les imperfections qui leur ont été divinement départies, afin que la loi de l’humaine vie soit l’effort et la loi du jugement humain, le pardon....

§ 4.

Et malgré tout ce qu’il y a là d’exagération et de paradoxe, ne disons pas que ce sont des idées de moraliste, car ce sont bien des sentiments d’artiste, et celui-là ne fut jamais un artiste, quelle que soit son enseigne ou son étiquette, qui ne les a pas éprouvés ! Oublier son art pour la Nature, s’oublier soi-même pour son art, c’est bien la condition expresse de toute élévation vers les mystères de la Beauté, et c’est bien aussi, au point de vue pratique, dans les œuvres d’art collectives, la première condition du succès. En disant que « tout art est adoration », adoration humble et dévouée, oubli de soi et sacrifice, le Maître des Lois de Fiesole a exprimé autre chose qu’un aphorisme moral et sentimental : il a donné une règle précise dont l’application aux plus délicats problèmes esthétiques de notre temps peut être faite