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sainteté du modèle et s’y tient. C’est un équilibriste qui jongle avec ses ocres, ses outremers, ses cinabres, au lieu de les apporter en tribut devant la Nature sans égale et devant le ciel sans fond. Il dit : Voyez mon adresse, voyez ma souplesse, voyez ma patte ! Il ne dit pas : Voyez-la, comme Elle est belle et comme elle passe tous nos pauvres artifices humains ! Il dit : Voyez comme, d’un seul coup de pinceau, j’allume le reflet du jour sur ce cristal ! Il ne dit pas : Voyez comme cent coups de pinceau ne peuvent rendre l’infinie ductilité de cette courbe, le calme radieux de cette lueur faite de neige, d’argent, d’azur et de nuit ! Le virtuose s’attarde à ses trilles et à ses sons filés. Pourquoi ? Pour célébrer les voix profondes de la Nature ? Non, mais pour qu’on célèbre son petit larynx à lui. Il fait de l’Art pour l’Art.... Le véritable artiste prend ses outils non pour briller lui-même, mais pour faire admirer comment brille la Nature ; il s’exprime non dans la liberté du succès, mais dans la contrainte de l’adoration, et non pour qu’on crie : Comme il est adroit ! Mais pour qu’on dise : Comme elle est belle ! Il ne fait pas de l’Art pour l’Art. Il fait de l’Art pour la Nature et pour la Beauté....

Et alors, qu’importe la perfection dans la facture, l’adresse et la réussite ? C’est l’effort qu’il