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visions se refermait le rideau noir des brumes de Londres. Plus tard, quand ses parents quittèrent la ville pour la banlieue et vinrent se fixer à Herne Hill, au bout des coteaux du Surrey, la beauté des choses inanimées lui devint plus familière. De la fenêtre paternelle, il voyait s’étendre, d’un côté, des prairies vertes, des arbres et des maisons semées çà et là sur le premier plan, avec une riche campagne qui ondulait vers le sud, et, de l’autre côté, ses yeux se portaient, à travers Londres, vers Windsor et Harrow. Autour de la simple et confortable maison était un jardin aux gazons en pente, bien tondus, au verger plein de cerises et de mûres, « couvert de la magique splendeur de fruits abondants, vert tendre, ambre doux, pourpre veloutée, courbant les branches épineuses, grappes de perles et pendeloques de rubis qu’on découvrait avec joie sous les larges feuilles qui ressemblaient à de la vigne », jardin délicieux enfin où l’enfant ne voyait aucune différence avec le paradis terrestre, sinon « qu’aucune bête n’y était apprivoisée et que tous les fruits y étaient défendus ». Son goût inné pour les formes et les couleurs n’en était plus réduit, comme à la ville, à s’appliquer aux dessins des tapisseries ou aux constructions de briques. « Dans le jardin, quand le ciel était beau, dit-il, mon temps se passait à étudier les plantes.