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rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses indifférentes, mais auprès d’eux, tout est égal.... »

Parce qu’elle est vue avec amour, la Nature doit être reproduite avec minutie. On s’intéresse aux moindres détails de ceux qu’on aime, aux plus fugitifs mouvements de leur physionomie, aux plus menues particularités de leurs traits : à l’ombre d’un cil sur une joue, au sertissage d’un ongle dans la chair, au sillon toujours, hélas ! plus profond, que prolonge sur le front un invisible laboureur.... Il faut donc rendre la Nature « avec l’acuité de l’œil de l’aigle, la finesse de doigté d’un violoniste, la patience et l’amour d’une Griselda. » C’est un insolent que le graveur moderne, qui hache sa planche de traits entre-croisés, brouillés au hasard, dans les ombres, sans le moindre effort pour exprimer une simple feuille ou une motte de terre, et qui vous dessine à grands traits confus, un paysage anonyme, comme on en voit de la fenêtre d’un wagon, à 60 milles à l’heure. « Au contraire, plus il est soigneux, en assignant l’exacte espèce de mousse à son tronc favori, et l’exacte espèce de mauvaise herbe à sa pierre nécessaire, en marquant dans chaque chose ce qui est définitif et caractéristique, dans sa feuille, sa fleur, sa semence, sa fracture, sa couleur, et son anatomie intérieure,