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famille fussent payées, son négoce bien établi, l’horizon libre de nuages. Ils avaient attendu neuf ans. Enfin, un soir, s’étant aperçu que, dans son bilan, l’actif remportait sur le passif, M. John James Ruskin avait laissé son cœur parler plus haut. On avait marié les deux jeunes gens après le souper et si secrètement que les domestiques n’en soupçonnèrent quelque chose qu’au lendemain en les voyant partir ensemble pour Édimbourg. — Ce mélange inattendu de flegme et de sensibilité, de fidélité romanesque et de sens pratique faisait de M. John James Ruskin une physionomie à part parmi les marchands de sherry et lui permit non seulement de sauver l’honneur de la famille en payant toutes les dettes laissées par son père, mais de laisser, à son tour, cinq millions à son fils et en même temps de lui léguer cet enthousiasme pour la nature qui devait être le trait le plus marquant du grand écrivain.

La nature n’apparut d’abord à l’enfant que par de rares échappées, comme une reine qu’on ne voit qu’aux jours de fête. Il l’apercevait dans ses visites à des tantes soit à Croydon, d’où la vue paraissait si belle que le petit John criait à sa mère effrayée : « Les yeux me sortent de la tête ! » soit à Perth, dont les jardins descendant vers le Tay enchantèrent ses premiers regards. Puis sur ces