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l’argent et à cause de leur misère, mais pour de l’amour et à cause de leur joie ! » Là est la Nature et là aussi la Beauté.

Beauté plastique des figures autant que pittoresque des paysages, — cela s’entend de reste, car si nous voulons qu’elle réside dans le corps humain tel que l’a fait la Nature, est-ce à dire que les types ordinairement choisis par les réalistes représentent la Nature et s’approchent de la Beauté ? Voici un gros électeur ou un menu fonctionnaire assis à la terrasse d’un café et qui, d’un geste approprié, prend un bon bock, ou goûte quelque absinthe. Il est courbé sous le poids de maladies ataviques, déformé par les accessoires du vêtement moderne, renfrogné par les passions et les vices de notre temps, les muscles atrophiés par un trop long repos, la peau pâlie et décolorée sous les linges inutiles, la main tremblante d’alcoolisme.... Est-ce là l’homme de la Nature ? Et s’il fut jamais au monde un être artificiel, n’est-ce pas lui ? Est-ce la femme naturelle, que la morphinomane, ou que la chlorotique, ou que la peinte au filo d’oro, ou que remaillée ? Est-ce la Nature qui a fait ces mains d’ouvriers modernes, qui a mis ces durillons sur celles du corroyeur et ces bourses séreuses à celles du découpeur sur métaux ? Est-ce une teinte naturelle que celle du visage sous la lampe Edison ?