Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’impose à notre admiration. Ces bizarres amants de la Réalité, qui commencent par fabriquer, artificiellement et selon leurs imaginations, un objet laid en contradiction avec toutes les lois naturelles, puis qui nous viennent dire que cet objet est beau par cela seul qu’il est réel, manquent à la fois de précision dans leur argument — parce qu’à ce prix on ne peut opposer la réalité à l’artifice, — et d’amour pour cette réalité qu’ils défigurent avant que de la copier.

Ils fabriquent un chapeau haute forme, un tuyau de poêle, un « huit reflets », et aussitôt ils le représentent sur une toile ou en bronze, en vous disant : C’est beau, car c’est la Nature ! Ils entrent dans un bar, inventorient sa collection de flacons multicolores, s’imprègnent de son atmosphère enfumé, étudient ses glaces ternies et tachées, puis ils peignent la bar-maid au milieu de ce triste appareil défausse civilisation et nous disent : C’est beau, car c’est la Nature ! Ils vont chercher dans un hôpital une face anesthésiée, insensible, posent sur elle des rhéophores, provoquent, par faradisation, des sourires chez un homme souffrant, des expressions de colère chez un être paisible, étudient ainsi chaque mouvement des muscles et reviennent nous annoncer qu’ils ont trouvé enfin « la Nature et le vécu », quand ils devraient dire qu’ils ont à grand’