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écartelée en espalier, dans un arbre taillé pour la cueillette des fruits ou des feuilles, dans un champ saturé de superphosphate, dans un canal bétonné pour l’irrigation. Mais ce ne sont là que des restes, que de pauvres souvenirs de la grande Défigurée. Nous pouvons les aimer encore, comme on aime les traits même flétris, même couturés et entaillés d’un visage qui nous fut cher. Nous ne pouvons plus y voir le prototype et le critère de la Beauté. Il est et il n’est que dans la Nature vierge, parce que la Nature n’est réellement elle-même que lorsque rien n’est venu la travestir ni la souiller.

Notez cette particularité au sujet des ciels, qui les distingue de tout autre sujet de paysage sur la terre : que les nuages n’étant point exposés à l’intervention humaine sont toujours arrangés selon les lois de la Beauté. Vous ne pouvez être sûrs de cela dans aucune autre partie du paysage. Le rocher d’où dépend spécialement l’effet d’un spectacle montagneux est toujours précisément celui que l’entrepreneur de routes fait sauter ou que le propriétaire exploite en carrière, et s’il est un coin de pelouse que la Nature ait laissé à dessein le long de ses forêts sombres, qu’elle ait fignolé avec ses herbes les plus délicates, c’est toujours là que le fermier laboure ou bâtit. Mais les nuages, bien que nous puissions les cacher avec de la fumée et les mêler de poison, ne peuvent pas être exploités en carrière, ni servir de fondement à des bâtisses, et ils sont toujours glorieusement arrangés....