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dans le moindre caillou qui roule de la montagne, dans le plus frêle roseau qui se penche sur l’étang.... Car dans chacune de ces choses, des yeux d’artiste savent démêler la signature de l’Artiste suprême. Sur aucune de ses œuvres Celui-ci n’a oublié d’imprimer le cachet de la Beauté.

Qu’importe qu’un passant, distrait et affairé, ne remarque point la splendeur d’une feuille morte, touchée par le soleil, à la porte d’une galerie, et qu’une fois entré dans cette galerie, il admire l’image de cette même feuille touchée par le pinceau mille fois plus faible d’un Vénitien ? Qu’importe qu’en y réfléchissant il s’étonne et se scandalise que l’Art lui fasse admirer l’image d’une chose dont il n’a pas admiré la réalité ? Et qu’importe enfin, si cet homme est un Pascal, que sa réflexion serve de postulat aux plus étranges controverses qu’on ait faites sur la Nature et sur l’Art ? Cela prouve seulement qu’on peut être un grand logicien et un pauvre artiste. Un artiste, lui, n’aurait point passé, indifférent, devant la feuille touchée par le soleil ; il l’aurait vue, il l’aurait regardée, il l’aurait aimée pour ses mordorures et pour ses flétrissures, pour ses passages de lumière et pour sa tache sur le massif ; s’il avait eu sa boîte à couleurs au dos, il l’aurait copiée peut-être, et ainsi distrait par cette pauvre chose que Pascal