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Un jour qu’il évoque devant ses élèves d’Oxford deux des plus grandes pages d’art du monde entier : le Jugement dernier de Michel-Ange, au fond de la Sixtine, avec sa dégringolade de damnés, et le Paradis du Tintoret obstruant de bienheureux tout le fond de la grande salle du palais des Doges, montant au plafond, descendant sur les plinthes, débordant les portes, et au moment où il termine sa minutieuse comparaison entre les deux chefs-d’œuvre en déplorant que ce Paradis soit voué à la destruction, par le mauvais entretien de la salle, tout à coup il s’arrête, en songeant à d’autres malheurs… C’est Paris qui vient d’être assiégé, Paris en proie à la famine et aux flammes, et il se demande si l’on peut réclamer justice pour les œuvres d’art quand il n’y a plus pitié pour les hommes… Et la calme dissertation, faite de chronologie et de dialectique, s’achève aux applaudissements de la foule, par une violente protestation où tout l’auditoire a frémi, parce que tout l’homme a vibré :


Les temps sont peut-être venus où nous allons apprendre à ne plus regarder les rêves des peintres pour avoir une idée du Jugement ou du Paradis. La colère du ciel ne sera plus longtemps, je pense, raillée pour notre amusement, ni son amour méprisé par notre orgueil. Croyez-moi, tous les Arts et tous les trésors des hommes leur sont conservés seulement s’ils ont