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du tuyau de poêle, le nez chaussé de lunettes, les favoris embroussaillés, nous avons en peu de temps une sensation plus vive que celle qu’aucun anthropologue, en un long rapport à quelque académie, ne pourrait nous en donner.

L’image est jusque dans la typographie de ses livres où se sent à tout instant le désir de séduire ou de frapper les yeux. Les paragraphes sont habilement coupés ; les interlignages laborieusement étudiés, les italiques et les lettres capitales multipliées, des mots en vieux français ou en grec s’insinuent délicieusement dans la monotonie des paragraphes anglais. Bien plus, si l’auteur veut montrer que le XIXe siècle a manqué au devoir social, il ne se contente pas d’imprimer au vif un passage du Daily Telegraph contant un cruel drame de la misère, arrivé dans le quartier de Spitalfields : les mots peignent assez d’eux-mêmes, mais le peintre, qui est en Ruskin, veut plus de couleur encore : il les imprime en lettres rouges, sous prétexte que « les faits eux-mêmes seront écrits en cette couleur, dans un livre dont chacun de nous, lettré ou illettré, aura à lire une page, un jour ou l’autre », — et, en attendant cette redoutable lecture, il y a, dans le volume de Sésame, trois pages aveuglantes et sanglantes que nul n’oublie, une fois qu’il les a lues, — surtout, si ce fut le soir,