Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

offrent à l’esprit. Comme un peintre qui presse ses tubes pour leur faire rendre un peu plus de cobalt ou de vermillon, il secoue les vocables jusqu’à en faire sortir l’image primitive qui leur a donné naissance, afin d’évoquer quelque chose de plus aux yeux :

Le pays qu’arrosent le Pô et l’Adige, Paese che Adice e Po riga, selon l’expression de Dante, est la Lombardie, et eût été assez désigné par le nom de sa rivière principale, mais Dante a une raison spéciale pour nommer l’Adige. C’est toujours par la vallée de l’Adige que la puissance des Césars allemands descend en Italie et ce pont fortifié que sans doute beaucoup d’entre vous se rappellent, jeté sur l’Adige, à Vérone, fut bâti de telle sorte que les cavaliers allemands pussent, de tout temps, trouver un sûr accès dans la cité. Cette cité fut leur première forteresse en Italie, où aidés par la grande famille des Montecchi, Montacutes, Montaigus ou Montagues, seigneurs tirant leurs noms des pics des montagnes, en lutte avec la famille des Cappellatti, — gens à chapeau écarlate. Et cet accident de nomenclature, joint à la connaissance qui vous est familière des luttes réelles des monts aigus avec les bonnets plats ou petases des nuages (qui donnent localement au mont Pilate son nom Pileatus) peut, sur plus d’un point, illustrer pour vous cette lutte de l’Empereur Frédéric II avec Innocent IV qui, dans le bien comme dans le mal, représente, à toutes les époques, la guerre de l’autorité solide, rationnelle et temporelle du roi avec l’autorité plus ou moins fantomale, encapuchonnée, imaginative et nuageuse du pape et de l’Église.