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On s’y hasarde pourtant, parce que si l’ensemble est confus, chaque idée particulière qu’on y démêle paraît plus claire et mieux définie que dans aucun traité d’esthétique ordinaire. On n’y est pas invité à méditer sur quelque axiome comme celui-ci : « Le but de l’art est de retrouver dans les objets extérieurs son propre moi », ou c’est « l’interprétation de la belle nature ou de la belle force au moyen de leurs signes les plus expressifs », ni à tirer de longues déductions de cette pensée que « le beau est la splendeur du vrai », propositions que le lecteur se garde d’autant plus de contester qu’il les a moins comprises. Non. On est en face d’une thèse simple et concrète, comme celle-ci par exemple :


L’art de Bellini est centralement représenté par deux tableaux, à Venise : l’un, la Madone dans la sacristie des Frari, avec deux saints à ses côtés et deux anges à ses pieds ; le second, la Madone avec quatre saints, au-dessus du second autel de San Zaccaria.

À leur sujet, observez ceci :

D’abord, ils sont tous deux travaillés avec des matériaux entièrement consistants et permanents. L’or qui s’y trouve est représenté par la peinture, non posé avec de l’or réel. Et cependant la peinture est si solide que quatre cents ans ont passé sur elle sans que, autant que je puisse voir, aucune altération malheureuse d’aucune sorte y soit survenue.

Secondement, les figures des deux tableaux sont dans une paix parfaite. Aucun mouvement n’a lieu, excepté celui des petits anges jouant d’instruments de musique,