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ou de parenté, qui, en leur donnant l’occasion de passer ou de séjourner auprès d’eux, ont fait choisir pour les peindre à Mme  de Noailles, à Mæterlinck, à Millet, à Claude Monet, cette route, ce jardin, ce champ, ce coude de rivière, plutôt que tels autres. Ce qui nous les fait paraître autres et plus beaux que le reste du monde, c’est qu’ils portent sur eux comme un reflet insaisissable l’impression qu’ils ont donnée au génie, et que nous verrions errer aussi singulière et aussi despotique sur la face indifférente et soumise de tous les pays qu’il aurait peints. Cette apparence avec laquelle ils nous charment et nous déçoivent et au delà de laquelle nous voudrions aller, c’est l’essence même de cette chose en quelque sorte sans épaisseur, — mirage arrêté sur une toile, — qu’est une vision. Et cette brume que nos yeux avides voudraient percer, c’est le dernier mot de l’art du peintre. Le suprême effort de l’écrivain comme de l’artiste n’aboutit qu’à soulever partiellement pour nous le voile de laideur et d’insignifiance qui nous laisse incurieux devant l’univers. Alors, il nous dit : « Regarde, regarde

« Parfumés de trèfle et d’armoise,
« Serrant leurs vifs ruisseaux étroits
« Les pays de l’Aisne et de l’Oise. »

« Regarde la maison de Zélande, rose et luisante comme un coquillage. Regarde ! Apprends à voir ! » Et à ce moment il disparaît. Tel est le prix de la lecture et telle est aussi son insuffisance. C’est donner un trop grand rôle à ce qui n’est qu’une