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des motifs étroits qui les poussent à cela. Je voudrais qu’elles désirent et revendiquent le titre de Lady, pourvu qu’elles revendiquent non pas simplement

    fonde diversité des morales, malgré l’identité des régimes qu’elles nous prescrivent, et ce qu’elles gardent chacune de diffèrent et qu’elles tiennent de leur origine, utilitaire, mystique, etc,). Mais ou peut se demander si la meilleure manière d’habituer un malade à prendre du lait est d’y mêler une goutte de cognac, et n’est pas plutôt de lui apprendre tout de suite à aimer le goût même du lait. Ici cette conception « flatteuse pour l’amour-propre » du devoir social manque en réalité son but. Quand une femme désire être lady, elle ne se soucie pas de l’étymologie du mot, mais des privilèges mondains qui y sont attachés. Et si elle était une « lady » dans le sens que dit Ruskin, c’est-à-dire si elle souhaitait seulement être femme de bien, elle ne souhaiterait pas (ou, en elle, ce ne serait pas la même personne qui le souhaiterait) être appelée « lady ». — (Je ne parle pas de celles qui, de tous temps, ont été « ladies ». Chez celles-là, la volonté d’être appelées « lady » correspond à quelque chose d’absolument naturel et légitime, et aussi étranger au snobisme que la volonté d’un général d’être appelé mon général). Lui donner ce petit appât du titre de lady pour l’aider à faire le bien, c’est cultiver son amour-propre pour accroître sa charité, c’est-à-dire quelque chose de contradictoire, comme nous avons déjà vu Ruskin nous autoriser à être ambitieux pourvu que nous soyons d’abord philosophes. Une philosophie ou une charité à qui le snobisme sert de seuil ou de terme, voilà une philosophie et une charité qui ne se conçoivent pas bien clairement. Sans doute je force ici, et bien grossièrement, la pensée de Ruskin. Et sans doute le mot « lady » n’a pas ici son sens strict. Mais enfin malgré tout il en garde quelque chose (il est un peu un de ces mots « masqués » contre lesquels Ruskin nous met en garde et ne se met pas assez en garde lui-même) et introduit dans la pensée du lecteur ces gracieuses confusions ou se plaisent aussi certains écrivains français quand ils mêlent, — en en parlant comme de choses analogues — la « noblesse » du talent, « la noblesse » de la « naissance » et du caractère. La noblesse de la naissance, cela veut dire être duc, etc. Et sans doute dans l’ordre des grandeurs de la chair et comme facteur social, et pour tous les sentiments que cela met en jeu… chez les autres, cela est important. Mais c’est un pur calembour de rapprocher cela de la « noblesse » au sens spirituel ; il est fort utile de se rendre compte du sens des mots, de ne pas tout mêler et, de tant d’idées confondues, de ne pas faire sortir une prétendue aristocratie de l’intelligence qui emprunte à l’aristocratie de naissance son système de filiation par le sang, non par l’esprit, pour l’appliquer à la noblesse de l’esprit et finalement fait un « noble » (dans tous les sens du mot qui en réalité alors n’en a plus alors aucun) du neveu de Michelet. (Inutile de dire que j’ignore s’il existe un neveu de Michelet et que j’ai pris ce grand nom au hasard.) (Note du traducteur.)