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pour nous, bien plus, nous ne sommes des créatures humaines qu’autant que nous sommes sensitifs et notre dignité[1] est précisément en proportions de notre Passion[2].

28. Vous savez que j’ai dit de cette grande et pure société des Morts qu’elle ne permettrait à « aucune personne vaine ou vulgaire d’entrer là ». Que pensez-vous que j’aie voulu dire par une personne vulgaire ? Qu’attendez-vous vous-mêmes par vulgarité ? Voilà une question sur laquelle vous trouverez profit à réfléchir ; disons seulement pour l’instant que l’essence de la vulgarité réside dans l’absence de sensations. La simple et innocente vulgarité est simplement la rudesse inéduquée et incorrigée du corps et de l’esprit ; mais, dans la vraie vulgarité innée, il y a un terrible endurcissement, qui à son point extrême devient capable de toute espèce d’habitudes bestiales et de crime, sans crainte, sans plaisir, sans horreur, et sans pitié[3]. C’est par la main rude et le cœur mort, par l’habitude malsaine, par la conscience endurcie, que les hommes deviennent vulgaires. Ils sont pour

  1. Et c’est encor Seigneur le meilleur témoignage
    Que nous puissions donner de notre dignité
    Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge, etc.

    (Baudelaire, les Phares.)
    (Note du traducteur.)
  2. Cf. dans l’admirable Livre de mon ami d’Anatole France : « À la bonne heure, m’écriais-je, voilà l’éclat des passions. Les passions il n’en faut pas médire. Tout ce qui se fait de grand en ce monde se fait par elles. Ma fille… ayez des passions fortes, laissez·les grandir et croissez avec elles. Et si plus tard vous devenez leur maîtresse inflexible, leur force sera votre force et leur grandeur votre beauté. Les passions, c’est toute la richesse morale de l’homme. » (Note du traducteur.)
  3. Cf. Bible d’Amiens : « Un monastère sans art, sans lettres et sans pitié. » (Note du traducteur.)