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dans leurs tristes vêtements de veuves : — Torcello et Venise.

Il y a treize cents ans, la grise étendue des marais était telle qu’elle est aujourd’hui et les montagnes pourprées s’élevaient aussi radieuses dans la lointaine atmosphère du soir ; de plus, on voyait, à l’horizon, des feux étranges se mêler à ceux du soleil couchant ; des lamentations humaines s’unissaient aux bruits des flots. Les flammes sortaient des ruines d’Altinum ; les lamentations s’échappaient de la multitude qui — comme jadis Israël — cherchait dans les détours de la mer, un refuge contre les sabres ennemis.

Aujourd’hui, les bestiaux paissent sur l’emplacement de l’autre ville qu’ils ont dû abandonner : la faux des Scythes a rasé les maisons qu’ils y avaient construites, et le temple où ils avaient adoré leur Dieu ne reçoit plus d’autre encens que les senteurs de l’herbe apportées par l’air de la nuit.

Parcourons cette prairie.


Ce n’est pas par l’îlot voisin de la tour qu’on pénètre ordinairement dans Torcello. Un autre, un peu plus vaste et planté d’un taillis d’aulnes, est sorti de la lagune tout à côté de la prairie qui fut autrefois la place de la ville, et là, soutenu par quelques pierres grises qui forment presqu’un quai, il lui sert de limite.

Ce petit pré, de la taille d’une cour de ferme anglaise, fermé par une palissade brisée et par des haies de chèvrefeuille, s’éloigne du rivage.

Traversé, pendant quarante ou cinquante pas, par un sentier à peine tracé, il forme un petit carré construit de trois côtés ; le quatrième côté est ouvert sur l’eau. Deux de ces constructions sont si peu de chose qu’on les prendrait pour des hangars et pourtant, le premier a été un