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Dans le cœur de cette même église, San Giovanni et Paolo[1] se trouve un autre tombeau, celui du Doge Andrea Vendramin. Il mourut en 1478, après un court règne de deux années, le plus désastreux qui figure dans les annales de Venise. Il mourut de la peste qui suivit les ravages des Turcs, venus jusqu’aux lagunes. A sa mort, de Venise — vaincue sur terre et sur mer — on apercevait, dans l’horizon bleu, la fumée des dévastations ennemies qui s’étendait sur le Frioul. Venise, cependant, lui éleva le tombeau le plus fastueux qu’elle eût jamais accordé à un de ses chefs.

Si l’écrivain déjà mentionné est resté insensible devant le tombeau d’un des pères de son pays, il consacre, en revanche, deux pages et demie d’éloges hyperboliques à ce monument-ci, sans que, du reste, il y soit dit un seul mot de la statue du mort que j’ai l’habitude de considérer comme un détail important dans un monument funéraire. J’ai d’autant plus regretté que Selvatico l’ait négligée qu’il n’est que l’écho des milliers de voix qui désignent ce tombeau comme le chef-d’œuvre sépulcral de la Renaissance, « comme le point culminant que peut atteindre l’art du ciseau ».

J’atteignis ce « point culminant » au milieu de la poussière et des toiles d’araignées, comme je l’ai fait à Venise pour chaque tombe importante, au moyen des anciennes échelles qu’on trouve chez les sacristains. Je fus d’abord frappé par l’excessive gaucherie et par le manque de sentiment de la main qui tombe vers le spectateur ; elle est jetée au milieu du corps comme pour montrer qu’elle est bien sculptée. Si la main de Mocenigo, sévère et raide, étale le réseau de ses veines, l’artiste ayant pensé que les veines sont le symbole de la dignité, de l’âge et de la naissance, la main de Vendramin pousse la recherche

  1. En vénitien, Zanipolo.