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Venise et à Vérone, c’est sur un sarcophage qu’est étendue l'image fidèle et attendrie, — poussée, dans son exactitude jusqu’au point qui deviendrait pénible — du Doge au moment de sa mort. Il porte la robe et le bonnet ducals ; sa tête est légèrement penchée sur l’oreiller ; ses mains se sont croisées en tombant. Le visage est émacié, les traits sont forts, mais si purs et si imposants dans leur forme que, même animés, ils ont dû paraître ciselés dans le marbre ; ils sont usés par la pensée et par la mort ; les veines s’entrecroisent aux tempes ; la peau est profondément plissée ; les sourcils arqués sont hérissés ; le globe de l’œil semble puissamment large ; la courbe de la lèvre est voilée de côté par une légère moustache ; la barbe est courte et pointue : tout est noble et calme, les contours anguleux des joues et des sourcils se détachent sur l'ombre portée du sarcophage.

Cette tombe fut sculptée en 1424 et voici comment elle est décrite par un des récents écrivains qui représentent le sentiment de la généralité sur l’art vénitien : « Les cendres de Tomaso Mocenigo reposent dans un riche, mais laid sarcophage de l’Ecole vénitienne. On peut le citer comme un des derniers liens qui rattachent l’art du moyen âge, sur son déclin, à celui de la Renaissance qui s’élevait. Nous ne signalerons pas les défauts des sept figures qui représentent les vertus cardinales et théologiques, ni de celles qui sont dans des niches au-dessus du dais, tant nous les considérons comme indignes de la réputation de l’Ecole florentine, qu’on regardait alors, avec raison, comme la plus remarquable de l’Italie[1] »

Il est séant de ne pas signaler ces défauts, mais il eût été encore mieux de s’arrêter, ne fût-ce qu’un moment, devant l’image de ce mort royal.

  1. Selvatico. L Architecture de Venise, p. 147.