Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Italiens énervés, leur infusèrent un peu de leur énergie sans modifier visiblement leur nature intellectuelle. Mais d’autres au sud et au nord de l’empire, ressentirent cette influence dont ils rapportèrent le germe jusqu’aux sources de l’océan Indien, jusqu’aux glaces de la mer du Nord.

Au nord et à l’ouest, l’influence fut celle des Latins ; au sud et à l’est, celle des Grecs. Deux nations, supérieures aux autres, nous représentent, de chaque côté, la force de cette tradition recueillie par elles. Lorsque le foyer central a disparu, les orbes reflétant sa lumière la condensent : ainsi, lorsque l’idolâtrie et la luxure eurent terminé leur œuvre et que la religion de l’empire fut couchée dans son sépulcre, la lumière éclaira soudain les deux horizons, et les fougueuses épées des Lombards et des Arabes furent brandies sur sa paralysie dorée.


La mission des Lombards fut de rendre hardiesse et méthode au corps énervé et à l’esprit affaibli de la chrétienté ; celle des Arabes, de punir l’idolâtrie et de proclamer la spiritualité d’un peuple religieux. Le Lombard couvrit ses églises de sculptures représentant les exercices du corps — la chasse et la guerre — ; les Arabes bannirent de leurs temples toute image de la nature et proclamèrent, du haut de leurs minarets : « Il n’y a d’autre Dieu que Dieu ».

Opposés de caractère et de mission, le torrent de glace et le torrent de lave s’élancèrent du nord et du midi pour se rencontrer et se combattre sur les ruines de l’empire romain. Au centre même de leur lutte, au point précis où ils s’arrêtèrent, où l’eau morte succéda aux deux tourbillons qui déposèrent, dans la baie, les débris de l’empire romain écrasé, s’élève Venise. Son Palais Ducal contient en égales proportions les trois écoles d’architecture : la romane, la lombarde et l’arabe. Ce