temps où l’État fut prospère. Les sentiments des citoyens pénétrèrent parfois jusque dans la sphère politique où ils firent même, en certains cas, pencher les plateaux encore indécis de la balance. Celui qui tenterait de trouver, pour expliquer la protection accordée à la cause d’Alexandre III contre Barberousse, une autre raison que la pitié inspirée par le caractère du suppliant et le soulèvement d’un noble orgueil contre l’insolence de l’Empereur, irait au devant d’un désappointement. Mais le cœur de Venise n’apparaît que dans ses décisions précipitées[1]. Son esprit mondain l’emporte lorsqu’elle a le temps de calculer les probabilités du bénéfice ou lorsqu’elle peut les discerner sans calculer : la sujétion absolue de la piété individuelle à la politique nationale est non seulement prouvée par la succession de tromperies et d’actes tyranniques par lesquels la puissance de Venise s’étendit et se consolida, mais elle est aussi symbolisée par la construction même de la ville. Venise fut la seule ville d’Europe dont la cathédrale ne fut pas le monument saillant. Son église principale fut la chapelle attachée au palais de son chef et appelée « l’église ducale ». L’église patriarcale (San Pietro di Castello), petite et peu ornée, située dans l’île la plus éloignée de l’archipel vénitien, est certainement inconnue, même de nom, à la plupart des voyageurs qui visitent rapidement la ville. À remarquer aussi que les deux plus importantes églises de Venise, après la chapelle ducale, doivent leur magnificence, non à un élan national, mais à l’énergie des moines franciscains et dominicains, à l’aide de la puissante organisation des sociétés répandues sur le conti-
- ↑ Oui, cela est vrai, mais c’est son cœur qui se montrait alors — je fus insensé de ne pas le comprendre ! — Venise fut commerciale superficiellement, d’apparence ; son cœur fut passionné de religion et d’héroïsme. Elle est la contre-partie de l’Angleterre moderne, dont l’apparence religieuse est superficielle et dont le cœur est lachement infidèle, sans probité.