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que j’ai appelé la renaissance grotesque, soulève quelques questions intéressantes. Cet esprit ne caractérise pas uniquement cette époque; on le retrouve — perpétuel, insouciant, souvent obscène — dans les plus nobles productions des périodes gothiques ; il est donc important d’examiner la nature et l’essence du grotesque et de voir en quoi la raillerie de l’art, dans son plus haut vol, diffère de celle qu’il pratique au temps de sa dégénérescence.


Nous commencerons cette étude sur un lieu célèbre dans l’histoire de Venise : l’espace de terrain qui, placé, devant l’église Santa Maria Formosa, offre au voyageur, — après le Rialto et la place Saint-Marc — un intérêt particulier en lui rappelant la très touchante et véridique légende des Fiancées de Venise. Rapportée dans toutes les histoires de Venise, elle nous a été contée par le poète Rogers de telle façon qu’on ne peut songer à la dire après lui. Je rappellerai seulement que la capture des fiancées eut lieu dans la cathédrale san Pietro di Castello, et que Santa Maria Formosa ne se rattache à cette histoire que par les prières qu’y venaient dire annuellement les jeunes filles de Venise, au jour anniversaire de la délivrance de leurs aïeules. C'est à la Vierge qu'elles adressaient leurs remercîments, dans la seule église de Venise qui lui fut consacrée.

Il ne reste plus une pierre ni de cette église, ni de la cathédrale : adressons-nous donc à celle qui fut élevée sur l’emplacement de Sainte-Marie; elle nous dira ce que rapporte la tradition sur l’église disparue.


Ce n’est qu’une tradition, mais, je serais désolé qu’elle se perdît. L’évêque d’Uderzo (Altinum), arraché de son évêché par les Lombards pendant qu’il était en prière, eut une vision dans laquelle la Vierge lui ordonna de