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je n'ai jamais vu d'autres regards se diriger vers eux que ceux des visiteurs étrangers. L'église est encore employée aux cérémonies pour lesquelles elle fut construite, mais l'impression qu'elle produisait a cessé d'être comprise. La beautéqu'elle possède ne touche plus que le cœur; la langue qu'elle parle est oubliée : debout au milieu de la ville, au service de laquelle elle a été si longtemps consacrée,encore remplie par les descendants de ceux à qui elle a dû sa splendeur, elle est plus désolée que les ruines traversées par des pâturages dans nos vallées anglaises, et les écrits gravés sur ses murs de marbre sont moins compris par ceux qu'ils devraient instruire que les lettres suivies du doigt par le berger anglais, sur les tombes d'un cloître abandonné, lorsque la mousse n'est pas trop épaisse.

Donc dans nos recherches sur les mérites de la signification de ce merveilleux monument, nous laisserons de côté son utilité actuelle : ce n'est qu'après avoir terminé notre enquête que nous pourrons établir, avec quelque certitude, si la négligence qui pèse sur Saint-Marc prouve la diminution morale du caractère vénitien ou si nous devons considérer cette église comme le reste d'une époque barbare, incapable d'exciter l'admiration ou d'exercer son influence sur une société civilisée.

Cette enquête est forcément double ; j'ai voulu d'abord juger Saint-Marc comme morceau d'architecture, non comme église; puis, en second lieu, apprécier sa valeur comme lieu d'adoration en la comparant aux cathédrales du Nord qui conservent encore, sur le cœur humain, une puissance que les dômes byzantins semblent avoir perdue pour toujours. Dans les deux parties qui suivront, consacrées à l'Art gothique et à la Renaissance, j'ai tâché d'extraire la nature de chaque école, son esprit et sa forme.