Page:Ruskin - Les Matins à Florence.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’« il vit des yeux de son âme la face de celle qui fut bénie entre toutes les femmes » et que « sa main, fidèle à son guide spirituel, rendit visible le Magnificat de son cœur »[1]. Giotto, en peignant la mort de saint François, n’a pas songé à la « composition » de son sujet, mais « il a surtout voulu affimer la réalité incontestable des stigmates »[2].

En s’affranchissant des traditions byzantines, il résolut « de regarder les choses telles qu’elles étaient » et « déclara qu’il voyait le ciel bleu, la nappe blanche et les anges rosés, quand il en rêvait »[3].

Cette simplicité de cœur s’éloigne autant de la pompe théâtrale de la Renaissance[4] que du réalisme grandiloquent forgé, de toutes pièces, par le rationalisme moderne. Elle est l’indice certain d’une spontanéité d’inspiration, d’une hardiesse ingénue de conception qu’on réclame toujours lorsqu’on l’a, une seule fois, profondément sentie. Sans jamais soumettre l’artiste à l’influence d’une morale dogmatique et rationnelle, elle confère à l’œuvre d’art une puissance éducatrice, une valeur religieuse et prophétique. C’est la « Lampe de Vérité » qui brille d’un éclat souverain parmi les « Sept Lampes de l'Architecture », les sept vertus de l’architecte. C’est à la lumière qu’elle répand que la Beauté s’est épurée, que la Bonté s’est ennoblie, et l’on ne pourrait vraiment dire laquelle des deux a dû faire, pour rencontrer l’autre, le plus de chemin, tant leur union semble naturelle et nécessaire. Peut-être bien notre folie seule les a-t-elle séparées et n’ont-elles jamais quitté le giron de la Foi où nos yeux dessillés les retrouvent enfin, jouant et riant ensemble sous les yeux de leur mère. Elles sont si semblables que nous n’avons pas à regarder l’une pour mieux

  1. La Porte d’Or, § 35.
  2. Devant le Soudan, § 43.
  3. La Porte d’Or, § 27.
  4. Voyez aussi le passage où Ruskin compare la pierre tombale de Santa-Croce à celle de la chartreuse d’Ema (Santa-Croce, § 16) et les deux fresques où Ghirlandajo et Giotto ont représenté la Naissance de la Vierge (La Porte d’Or. § 18 à 21).