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Saint-Marc, datant du xiiie siècle, il les trouve « absolument Grecques dans tous les modes de la pensée, dans toutes les formes de la tradition. Les fontaines de feu et d’eau ont purement la forme de la Chimère et de la Pirène, et la jeune fille dansant (Salomé dansant devant Hérode), quoique princesse du xiiie siècle à manches d’hermine, est encore le fantôme de quelque douce jeune fille portant l’eau d’une fontaine d’Arcadie ». « Laissons aujourd’hui le mot de Byzantin, dit-il d’ailleurs, il n’y a qu’un art Grec, de l’époque d’Homère à celle du doge Selvo, et ces mosaïques de Saint-Marc ont été exécutées dans la puissance même de Dédale, avec l’instinct constructif grec dans la puissance même d’Athéné, avec le sentiment religieux grec[1]. »

Il n’y a donc pas là, uniquement, une question de style. Ruskin, comme tout artiste digne de ce nom, ne peut séparer l’aspect extérieur d’une œuvre de la source d’inspiration dont elle émane. D’après lui le trait trahit la pensée avec plus de fidélité même que la parole et, s’il est permis de rapprocher les formes de l’art chrétien de celles de l’art antique, c’est qu’une même aspiration unit l’âme des précurseurs à celle des disciples, l’amour suscité par le rêve prophétique à l’amour entretenu par le culte du souvenir. Il a toujours considéré les anciens du même œil que ses contemporains et n’a jamais cru que leurs conseils, pour dater de loin, en fussent moins bons à suivre, ni que leur sagesse dût être reléguée dans le panthéon glorieux, mais bien clos, d’une admiration toute platonique. Déjà à onze ans, étudiant les odes d’Anacréon, j’appris, dit-il, « avec certitude, ce qui me fut très utile dans mes études ultérieures sur l’art grec, que les Grecs aimaient les colombes, les hirondelles et les roses tout aussi tendre-

  1. Cité par M. Proust, dans la Bible d’Amiens.
    Parlant du constructeur de la cathédrale d’Amiens — « le Parthénon de l’architecture Gothique » — Ruskin s’écrie : « Qui la bâtit ?… Dieu et l’homme est la première et la plus fidèle réponse… L’Athéné des Grecs a travaillé ici et le Père des dieux romains, Jupiter, et Mars Gardien. Le Gaulois a travaillé ici, et le Franc, le chevalier Normand, le puissant Ostrogoth, et l’Anachorète amaigri d’Idumée. »