Page:Ruskin - Les Lys du jardin de la reine.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

jamais demandé de faire autre chose que de cultiver mon esprit, j’étais réduite à passer la nuit à surveiller une miche de pain, — qui peut-être ne serait pas du tout du pain ! Ces pensées me rendaient folles, tellement que je posai ma tête sur la table et me mis à sangloter.

C’est alors, je ne sais comment, que me vint à l’esprit l’idée de Benvenuto Cellini veillant toute une nuit sur le fourneau d’où allait sortir son Persée, et je me demandai tout à coup : Après tout, aux yeux des puissances d’en haut, y a-t-il une si grande différence entre une miche de pain et une statue de Persée, quand l’une ou l’autre représente le devoir ? La ferme volonté de Cellini, son énergie, sa patience, son ingéniosité, voilà les choses réellement admirables dont la statue de Persée n’est que l’expression accidentelle. S’il avait été une femme, vivant à Craigenputtock avec un mari dyspeptique, à seize milles d’un boulanger, et ce boulanger mauvais, toutes ces mêmes qualités auraient trouvé leur emploi dans la confection d’une bonne miche de pain.

Je ne puis dire tout ce que cette idée répandit de consolation sur les tristesses de ma vie pendant que nous vécûmes dans ce lieu sauvage ou, de mes trois devancières immédiates, deux étaient devenues folles et la troisième ivrogne ! »

Citée par Arvède Barine, Portraits de femmes. — Hachette.