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à la préséance avec sa voisine d’à côté. Oui, cela m’étonne, oh ! m’étonne ! de la voir le matin, dans toute la fraîcheur de ses sentiments innocents, sortir de son jardin, jouer avec les pétales de ses fleurs protégées, relever leurs têtes qui penchent, avec son sourire heureux sur les lèvres et sans nuage au front, parce qu’un petit mur entoure sa place de paix. Et cependant elle sait dans son cœur, si elle voulait seulement y regarder pour le savoir, que par delà ce mur couvert de roses, l’herbe sauvage jusqu’à l’horizon est arrachée par l’agonie des hommes et submergée par les ruisseaux de leur sang.

93. Vous êtes-vous jamais demandé quel sens profond se cache, ou pourrait être lu, si vous préférez, dans cette coutume de jeter des fleurs devant ceux que nous croyons pleinement heureux ? Pensez-vous que ce soit seulement pour les induire dans l’espoir trompeur que le bonheur tombera toujours ainsi en pluie à leurs pieds, — que partout où ils passeront, ils marcheront sur des herbes qui sentent bon et que la terre dure leur sera toujours rendue douce par un tapis de roses ? S’ils croient véritablement cela, ils devront au contraire marcher sur des herbes âcres et des épines, et la seule chose douce à leurs pieds sera la neige. Mais là n’est pas ce que l’on voulait qu’ils crussent ; cette vieille coutume renferme un sens meilleur. Le sentier que suit une femme bonne est bien, en effet, semé de fleurs ; mais de fleurs qui croissent derrière ses pas, et non devant eux.