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puissant ne fera jamais de mal à une noble fille. Mais le vide de certains auteurs l’oppresse et leur aimable futilité la dégrade. Du reste, si elle peut avoir l’accès d’une bonne bibliothèque de vieux classiques, plus n’est besoin de choix. Gardez loin de votre fille la Revue et le roman modernes ; donnez-lui libre entrée dans la vieille bibliothèque tous les jours de pluie, et laissez-l’y seule. Elle trouvera ce qui lui sera bon ; vous ne le pourriez pas ; car telle est justement la différence entre la formation d’un caractère de fille et d’un caractère de garçon ; vous pouvez tailler un garçon à la forme qui vous plaît, comme vous tailleriez un rocher, ou le forger à coups de marteau s’il est d’une meilleure espèce, comme vous forgeriez une pièce de bronze ; mais vous ne forgerez jamais une fille en quoi que ce soit. Elle croit comme croissent les fleurs ; elle se fanera sans soleil, elle se flétrira sur sa tige comme un narcisse, si vous ne lui donnez pas assez d’air ; elle peut tomber et souiller sa tête dans la poussière si vous la laissez sans appui à certains moments de sa vie ; mais vous ne l’enchaînerez jamais. Il faut qu’elle prenne la forme gracieuse et le chemin qui lui conviennent, si elle doit en prendre aucun, et d’âme et de corps il faut qu’elle ait toujours

« Cette allure légère et libre de reine du foyer
Et cette démarche de liberté virginale[1]. »
  1. Wordsworth (A true Woman).