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développements, vous rappelle que vous avez affaire à un homme qui eut une certaine vie, telles connaissances qui lui tiennent lieu de telles autres, une expérience limitée dont il tire tout le profit qu’il peut. Rien qu’en consultant les index des différents ouvrages de Ruskin, la perpétuelle nouveauté des œuvres citées, plus encore le dédain d’une connaissance dont il s’est servi une fois et, bien souvent, son abandon à tout jamais, donnent l’idée de quelque chose de plus qu’humain, ou plutôt l’impression que chaque livre est d’un homme nouveau, qui a un savoir différent, pas la même expérience, une autre vie.

C’était le jeu charmant de sa richesse inépuisable de tirer des écrins merveilleux de sa mémoire des trésors toujours nouveaux : un jour la rose précieuse d’Amiens, un jour la dentelle dorée du porche d’Abbeville, pour les marier aux bijoux éblouissants d’Italie.

Il pouvait, en effet, passer ainsi d’un pays à l’autre, car la même âme qu’il avait adorée dans les pierres de Pise était celle aussi qui avait donné aux pierres de Chartres leur forme immortelle. L’unité de l’art chrétien au moyen âge, des bords de la Somme aux rives de l’Arno, nul ne l’a sentie comme lui, et il a réalisé dans nos cœurs le rêve des grands papes du moyen âge : l’« Europe chrétienne ». Si, comme on l’a dit, son nom doit rester attaché au préraphaélisme, on devrait entendre par là non celui d’après Turner, mais celui d’avant Raphaël. Nous pouvons oublier aujourd’hui les services qu’il a rendus à Hunt, à Rossetti, à Millais ; mais ce qu’il a fait pour Giotto, pour Carpaccio, pour Bellini, nous ne le pouvons pas. Son œuvre divine ne fut pas de susciter des vivants, mais de ressusciter des morts.