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donnez-le joliment et non comme s’il vous brûlait les doigts[1]


C’est ce deuxième itinéraire, le plus simple, et, celui, je suppose, que vous préférerez, que j’ai suivi, la première fois que je suis allé à Amiens ; et, au moment où le portail sud m’apparut, je vis devant moi, sur la gauche, à la même place qu’indique Ruskin, les mendiants dont il parle, si vieux d’ailleurs que c’étaient peut-être encore les mêmes. Heureux de pouvoir commencer si vite à suivre les prescriptions ruskiniennes, j’allai avant tout leur faire l’aumône, avec l’illusion, où il entrait de ce fétichisme que je blâmais tout à l’heure, d’accomplir un acte élevé de piété envers Ruskin. Associé à ma charité, de moitié dans mon offrande, je croyais le sentir qui conduisait mon geste. Je connaissais et, à moins de frais, l’état d’âme de Frédéric Moreau dans l’Éducation sentimentale, quand sur le bateau, devant Mme Arnoux, il allonge vers la casquette du harpiste sa main fermée et « l’ouvrant avec pudeur » y dépose un louis d’or. « Ce n’était pas, dit Flaubert, la vanité qui le poussait à faire cette aumône devant elle, mais une pensée de bénédiction où il l’associait, un mouvement de cœur presque religieux. »

Puis, étant trop près du portail pour en voir l’ensemble, je revins sur mes pas, et arrivé à la distance qui me parut convenable, alors seulement je regardai. La journée était splendide et j’étais arrivé à l’heure où le soleil fait, à cette époque, sa visite quotidienne à la Vierge jadis dorée et que seul il dore aujourd’hui pen-

  1. The Bible of Amiens, IV, § 6, 7 et 8.