ne travaillent que quand on les y contraint. Cette assertion est si absurde qu’elle n’a pas besoin d’être réfutée. L’expérience de tous les jours ne montre-t-elle pas avec quelle infatigable activité les esclaves mettent à profit chaque instant de liberté, même ceux qui leur sont concédés pour se reposer des travaux les plus pénibles ! Ne les emploient-ils pas à gagner de quoi alléger leur situation, de quoi racheter un jour leur liberté ? Que l’on s’en rapporte avec confiance au vœu inné dans tout homme d’améliorer sa position et celle des siens ; il déterminera le Nègre comme les autres à chercher son existence dans le travail. Rien n’est plus insensé que de croire que l’émancipation progressive des esclaves puisse être dangereuse pour les blancs et pour l’État. Il faut, ou ne point connaître le véritable état des choses, ou le dénaturer à dessein, pour prétendre que les Nègres visent à la domination, et qu’ils menacent la vie et la propriété des blancs. Le Nègre affranchi prend de lui-même sa place dans les classes inférieures de la société, c’est celle que lui assigne sa capacité et sa fortune ; sa plus grande ambition est dans l’espoir que ses descendans un jour, au moyen d’unions avec des races moins noires, se confondront dans la population des hommes de couleur, et de la sorte atteindront à la possibilité d’obtenir des emplois et des dignités. C’est l’État qui gagnera le plus à l’émancipation progressive des esclaves ; car elle aura pour effet de substituer à une population dépourvue de possessions, ou du moins très-pauvre, et qui dans certaines circonstances peut devenir fort redoutable, une population aisée, prête à contribuer à tous les besoins de la société et à la défense du pays. L’accroissement de la population d’Haïti, après d’aussi horribles dévastations, prouve quels avantages aurait pour l’Europe la cessation de l’esclavage. Que l’on réfléchisse combien petite est la consommation des produits de l’industrie de la part d’un peuple pauvre, né esclave, et combien d’importance acquerrait cette consommation de la part d’un peuple de Nègres libres. À estimer les choses à leur moindre valeur, elle doublerait en peu d’années.
Nul observateur ne peut douter de la nécessité ni de l’utilité de l’émancipation progressive des esclaves noirs. Les moyens d’y parvenir sont très-simples : au Brésil, surtout on pourrait arriver aux résultats les plus heureux sans aucune mesure extraordinaire, sans blesser aucun droit, aucun intérêt et en très-peu de temps. D’une part il suffirait d’empêcher l’importation de nouveaux esclaves, en satisfaisant sur ce point à des engagemens déjà pris, en appliquant avec rigueur les lois existantes ; et d’autre part il faudrait par des lois sages, et par une stricte observation de ces lois, assurer aux esclaves tous les bienfaits intellectuels et physiques qui sont compatibles avec leur position, et auxquels ils participent déjà en grande partie par la douceur