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contre lui. Il n’est pas rare que l’on entende d’amers reproches adressés aux Brésiliens sur ce trait de leur caractère ; mais ceux qui s’en plaignent avec le plus de véhémence ne sont réellement pas toujours ceux qui auraient le plus de droit de le faire, et quand on veut être juste, il faut bien convenir que la méfiance de l’habitant du Brésil envers l’Européen n’est pas entièrement dépourvue de fondement : elle repose sur la conviction que les Européens, qui viennent dans le pays pour faire leur fortune, soit comme négocians, soit par des emplois publics, soit par tout autre moyen, n’ont pour le pays ni pour ses habitans aucun attachement ; que même un orgueil outré leur fait repousser ces derniers ; qu’ils ne songent qu’à s’enrichir pour emporter ensuite en Europe ce qu’ils auront amassé ; enfin, que, pour atteindre ce but, ils sont prêts non-seulement à faire au Brésil toute sorte d’affaires, mais encore à trahir ce pays ; et dans le fait on ne saurait nier que beaucoup de ces suppositions ne soient fondées sur l’expérience, et qu’elles ne feraient point tort à une grande partie des Européens qui cherchent à faire fortune dans l’Amérique méridionale, et notamment au Brésil. Même parmi ceux que des qualités personnelles rendent dignes de considération, il en est fort peu qui jugent d’une manière équitable le pays et le peuple qui les accueille ; fort peu qui aient d’autre guide de leur conduite, d’autre but, que de s’enrichir et d’avancer rapidement ; et sans précisément employer de mauvais moyens, ils ne se sentent liés au pays et à la nation ni par un grand nombre de considérations, ni par un attachement réel : ils n’ont donc pas droit de se plaindre qu’on les regarde toujours comme des étrangers. Il ne faut pas oublier, non plus, que parmi les Européens d’après lesquels doivent se former les idées et les sentimens des Brésiliens à notre égard, il en est un grand nombre, et peut-être la plupart, qui ne pourraient, dans aucun pays, pas même dans leur propre patrie, élever la moindre prétention à la considération et à la confiance ; il ne faut pas oublier que le plus souvent l’absence de l’une et de l’autre est la raison pour laquelle ils ont quitté leurs foyers pour un nouveau monde, et que l’opinion exagérée qu’ils ont de la prépondérance que leur donne une éducation et une instruction souvent très-superficielles, leur inspire des prétentions que la fierté des Brésiliens repousse à bon droit. Ce que nous venons de dire, il est vrai, s’applique plus particulièrement aux Européens qui veulent faire au Brésil un établissement quelconque ; mais parfois celui qui se borne à parcourir la contrée rapidement, éprouve les inconvéniens de cette méfiance ; ce qui y contribue encore, c’est que les Brésiliens de l’intérieur du pays ne peuvent que difficilement être persuadés qu’un Européen soit poussé à des voyages si pénibles et si lointains par le seul