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servir pour les frapper d’un sort quelconque. Cette mandingua consiste en un grand nombre d’herbes, de racines, de terres ; il y entre de plus des ingrédiens du règne animal. Le mélange s’opère sous l’empire de formules magiques ; on enveloppe ces maléfices, et on les place, soit dans le lit, soit sous le lit de la personne à laquelle on en veut. On appelle aussi ces enchantemens Feiticos, et les initiés Feiticeiros. Il y en a de plusieurs espèces ; par exemple, pour exciter l’amour et la haine, etc., etc. Cette superstition n’est pas particulière aux Nègres, elle règne sur toutes les classes du peuple : il serait difficile de dire si elle est d’origine africaine ou européenne ; car, malgré son nom africain, ce talisman a la plus grande analogie avec des idées qui sont fort répandues en Europe depuis les temps les plus anciens. Néanmoins les Mandingueiros sont presque toujours des Nègres : la plupart d’entre eux joignent à cette profession la danse de corde et les tours d’adresse ; ils y sont fort habiles, et il leur faut très-peu de moyens pour produire des effets étonnans. Quoique ces Mandingos soient pour les Noirs un objet de haine et de crainte, quoiqu’on ne les honore nullement, et que beaucoup de Nègres condamnent cette superstition comme antichrétienne, ces hommes exercent souvent une influence très-puissante sur ceux qui les environnent, au point qu’ils occasionnent quelquefois des désordres sérieux et font même commettre des crimes. Pour rétablir le repos et l’ordre dans un district, il n’y a bien souvent d’autre moyen que leur éloignement.

En général les divertissemens des Nègres amènent des querelles, qui sont d’autant plus graves que rarement ils ont l’esprit dégagé des effets de l’ivresse, non-seulement parce qu’ils boivent immodérément, mais encore parce qu’ils supportent fort mal la boisson, et qu’il suffit d’une très-petite dose de cachaza, assez mauvaise espèce de rhum, pour les enivrer complètement. Tout aussitôt les couteaux sont tirés, et rien n’est plus ordinaire alors que les blessures graves et les meurtres. La punition de ces crimes et d’autres de même importance est confiée à l’autorité publique ; mais comme elle entraîne fréquemment pour le maître la perte d’un esclave, qui peut subir le supplice de la perche, la déportation ou les travaux publics, il arrive assez ordinairement que le maître fait tous les efforts imaginables pour arracher l’esclave des mains de l’autorité, pour l’échanger ou le vendre furtivement, de manière à ce qu’il s’en aille dans un pays éloigné. Il y a même des colons qui profitent volontiers de ces occasions d’augmenter à bon compte le nombre de leurs esclaves, s’en reposant sur leur fermeté et sur leur courage personnel, du soin de contenir de pareils hommes. Il en résulte qu’il y a des plantations où l’on voit un assez bon nombre de Nègres dont chacun peut-être a mérité la mort, sans que cependant les autorités s’en