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rade, soit dans le port ; mais la durée de ce retard paraît dépendre uniquement du caprice ou de l’intérêt de la douane ou du Medico-mor. Il n’y a pas d’ailleurs d’autres mesures de précaution, en sorte que, si les ports du Brésil n’ont jamais été envahis par des maladies contagieuses, c’est un bonheur qu’il ne faut attribuer qu’au hasard ou à la salubrité particulière du climat. Dès que le marchand obtient la permission de débarquer ses esclaves, on les met à terre près de la douane, et là on les inscrit sur les registres, après avoir perçu les droits établis pour l’entrée.

De la douane on les conduit aux maisons de vente, qui sont véritablement des étables : ils y restent jusqu’à ce qu’ils trouvent un acheteur. La plupart de ces étables à esclaves sont dans le quartier appelé Vallongo, auprès du rivage. C’est pour la vue de Européen un spectacle choquant et presque insupportable : toute la journée ces êtres infortunés, hommes, femmes, enfans, sont assis ou couchés près des murailles de ces immenses bâtimens, et mêlés les uns avec les autres ; ou bien, si le temps est beau, on les voit dans la rue. Leur aspect a quelque chose d’affreux, surtout lorsqu’ils ne sont pas encore reposés de la traversée : l’odeur qui s’exhale de cette foule de Nègres est si forte, si désagréable, que l’on a peine à rester dans le voisinage, lorsqu’on n’y est pas encore accoutumé. Les hommes et les femmes sont nus et ne portent qu’une pièce de toile grossière autour des hanches. On les nourrit de farine de manioc, de fèves et de viandes sèches ; les fruits rafraîchissans ne leur manquent pas.

Cette position, toute désagréable qu’elle puisse être, leur semble un véritable adoucissement aux maux soufferts pendant la traversée. Cela explique pourquoi les Nègres ne paraissent pas se trouver fort malheureux dans ces marchés : rarement on les entend se plaindre, et même on les voit accroupis autour du feu, entonner des chants monotones et bruyans, tandis qu’ils s’accompagnent en battant des mains. La seule chose qui paraisse les inquiéter, est une certaine impatience de connaître quel sera enfin leur sort : aussi l’apparition d’un acheteur cause-t-elle souvent parmi eux des explosions de joie ; ils s’approchent alors et se pressent autour de lui pour se faire palper et visiter soigneusement le corps, et quand on les achète, ils regardent leur vente comme une véritable délivrance, comme un bienfait, et suivent leur nouveau maître avec beaucoup de bonne volonté, tandis que leurs compagnons, moins favorisés, les voient partir avec un regret qui n’est pas exempt d’envie. Ceux néanmoins qui sont arrivés sur un même vaisseau restent plus étroitement liés, et le devoir de s’aimer et de se secourir est fidèlement observé entre ces esclaves, que l’on appelle molungos. Malheureusement, quand on vend des esclaves, on tient rarement compte des liens de famille. Arrachés à leurs parens, à leurs enfans, à