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que l’Angleterre à elle seule importe pour plus de trois milions sterling de thé de Chine, et que cet article se paie principalement en piastres, et l’on verra que l’Orient est le gouffre où s’engloutissent la plupart des métaux précieux qui d’Amérique viennent en Europe. La cause de la crise extraordinaire qui s’est manifestée, il y a quelque temps, dans le commerce de l’Angleterre et de toute l’Europe, quant au numéraire, n’est pas douteuse : c’est, d’une part, que les métaux précieux n’affluaient plus dans nos contrées comme autrefois ; de l’autre, que l’Orient continuait à les absorber. La naturalisation du thé au Brésil promet de changer entièrement ce système de commerce si funeste à l’Europe. Dès que l’Europe pourra obtenir du Brésil tout le thé dont elle aura besoin, ou du moins la plus forte partie de sa consommation, elle ne sera plus obligée de l’acheter au prix de métaux précieux. En compensation des valeurs immenses qu’elle achète, elle enverra des marchandises au Brésil. Alors s’arrêterait l’écoulement du métal vers l’Orient, et l’industrie recevrait une impulsion nouvelle et de l’augmentation des capitaux, et de l’augmentation des importations. Les avantages qui résulteraient de cet état de choses pour le Brésil sont évidens. Nous nous bornerons à observer que du Brésil aussi partent pour l’Orient de grandes sommes de métal, ce qui jette dans sa valeur des vicissitudes fâcheuses et souvent une hausse subite et disproportionnée.

C’est surtout à l’ancien ministre, comte de Linhares, que l’on doit les essais tentés jusqu’à ce jour pour la culture du thé. Il y a quelques années, il fit venir beaucoup de plantes et quelques Chinois pour les soigner, et il établit une plantation derrière le Corecovado, au bord du petit lac Lagoa Rodrigo das Freitas, non loin du Jardin des plantes. En 1825 le nombre des arbustes à thé était de six mille ; ils sont plantés par rangées à trois pieds de distance les uns des autres, et réussissent à merveille. La floraison dure de Juillet à Septembre, et les semences mûrissent complètement. Trois fois par an on choisit les feuilles à cueillir, et on les sèche sur des fours d’argile, en ayant soin de les séparer selon les différentes espèces comme cela se pratique en Chine.

Néanmoins on reproche justement à ce thé de n’avoir point le goût fin et aromatique des espèces de première qualité de la Chine ; on le trouve au contraire d’un goût âpre et terreux. Ce défaut s’explique aisément par cette circonstance, que cette plante n’est pas introduite au Brésil depuis assez long-temps pour s’y bien acclimater, et l’on a quelque raison d’espérer qu’avec des soins prolongés et soutenus le thé acquerra toutes ces qualités que l’on estime dans celui de la Chine. Des hommes bien instruits pensent que le goût terreux tient à ce qu’on ne sait pas bien traiter les