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contre, dans le scherzo et le trio, quelle fraîcheur, quelle grâce naïve et tendre, quelle expansion de jeunesse et de vie. C’est un autre musicien qui chante ; sans doute ici, les impressions de sa vie au village, les mélodies populaires si ravissantes de la Haute-Autriche, les lointains échos de fêtes et de kermesses rustiques, se sont réveillés soudain dans l’âme du musicien. Sous l’influence de leur cher et persistant souvenir, il a fait revivre, dans le vieux cadre classique, ces naïves scènes villageoises, avec leur note sentimentale et rêveuse, leur bonne et franche gaieté surtout. On pense involontairement à Haydn et à Mozart, tant il y a de grâce, de naïveté, de simplicité et de charme dans l’inspiration.

Mais ce n’est qu’un épisode, et Bruckner nous ramène bien vite sur les majestueux sommets qu’il avait un instant quittés pour descendre dans la riante vallée. D’un bond, avec son finale, il nous conduit aux cimes ; nous le suivons haletants dans les multiples détours de son inspiration harmonique jamais lassée, et c’est dans une sorte d’apothéose que se terminent ses symphonies.

L’illustre et grand maître fut longtemps méconnu du grand nombre et partagea en cela, d’ailleurs, le sort commun à la plupart des hommes supérieurs. Ce n’est pas qu’il ait été précisément novateur ou qu’il ait renversé un ordre de choses depuis longtemps établi. Il semble qu’il aurait dû trouver un solide appui chez les partisans du pur classicisme et chez tous les ennemis du drame musical de Wagner, du poème symphonique à la manière de Liszt et de l’école de Schumann et de Mendelssohn. Il n’en fut cependant rien ; parmi ceux qui, logiquement, auraient dû partager sa manière de voir et de faire, les uns restèrent indifférents, et les autres, comme nous l’avons dit, voyaient d’un mauvais œil l’amitié de Wagner pour le symphoniste. Bruckner ne rencontra pour ainsi dire, à l’apparition de ses premières œuvres, que des ennemis et des indifférents. Les premiers champions de sa cause furent des admirateurs du maître de Bayreuth, et l’on peut dire que c’est l’affection de Wagner qui les lui gagna. À Vienne, le Wagner-Verein était, au début presque, la seule société symphonique sur laquelle Bruckner pouvait compter pour l’exécution de ses œuvres, les Philharmoniques ayant successivement déclaré les deuxième, troisième et quatrième symphonies « injouables ». Plus tard, Bruckner trouva en quelques-uns de ses élèves dévoués et reconnaissants les plus hardis et les plus ardents propagateurs de ses symphonies. Il convient de citer particulièrement ici encore les deux frères Franz et Joseph Schalk et Ferdinand, Löwe, puis Arthur Nikisch, Félix Mottl et Gustave Mahler, tous élèves d’Anton Bruckner. Parmi les autres grands chefs d’orchestre, nous avons vu Hans Richter et Hermann Levi embrasser chaleureusement la cause du musicien méconnu ; plus récemment, Richard Strauss semble avoir eu la ferme volonté de l’imposer au public, et a inauguré la série de ses concerts à Berlin par la première symphonie du maître autrichien.

Par toute l’Allemagne et l’Autriche, Bruckner est à présent reconnu maître, digne successeur de Beethoven, égal de Brahms, qui voyait d’ailleurs en Bruckner « le plus grand symphoniste du moment ». Il est étonnant que le maître de Hambourg n’ait point usé de sa grande influence à Vienne pour la reconnaissance d’un maître qu’il appréciait si hautement. Son ami Hanslick aurait-il paralysé un généreux mouvement qui aurait si naturellement dû suivre sa belle parole ?

Vienne, d’ailleurs, a reconnu son erreur ; elle a rendu à l’illustre maître des honneurs un peu tardifs, il est vrai, mais qui furent encore doux à ses dernières années. Après sa mort, les élèves, amis et admirateurs de Bruckner firent élever à la mémoire du maître vénéré un monument inauguré en 1899 dans un des parcs publics de Vienne (Wiener Stadtpark). La Messe en mi mi-