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(éd. Doblinger. Vienne). En 1883, la Philharmonique de Vienne, qui, à partir de ce moment, avait changé d’attitude vis-à-vis de Bruckner, en donna un fragment sous la direction de Jahn ; mais toujours encore le public resta indifférent, et le fragment passa pour ainsi dire inaperçu. Les choses changèrent à l’apparition de la Septième Symphonie en mi majeur (éd. Gutmann. Vienne), 1881-1883, dédiée à Louis II de Bavière et dont le poignant adagio aurait été écrit en souvenir de son ami Wagner, sous l’impression de la grande tristesse que lui causa la mort de l’illustre maître (février, 1883). Hermann Levi et Arthur Nikisch portèrent la symphonie en dehors de Vienne. Elle eut, sous la direction de Nikisch, à Leipzig (1884) et, sous celle de Levi, à Munich (1885) un succès triomphal. On s’en émut à Vienne. Richter en donna bientôt aux Concerts philharmoniques, en 1886, une vibrante exécution qui renouvela en Autriche le triomphe de Leipzig et de Munich. Bruckner était enfin sacré maître. En 1890, il avait remanié complètement sa première symphonie, et il la dédia à l’Université de Vienne ; la Philharmonie la joua à l’un de ses concerts en 1891. La même année aussi parut la Huitième Symphonie en ut mineur (éd. Schlesinger. Vienne), dédiée à l’empereur François-Joseph. Ce fut la dernière que Bruckner put achever. En 1892, la Philharmonie en donna la première exécution avec un succès retentissant. Hanslick n’en revenait pas et ne cessait de lancer les plus amères critiques à l’œuvre nouvelle, où il ne reconnaissait plus qu’un « vacarme monstrueux » (unmenschliches Getöse). Le succès, comment l’expliquer ? « Hélas ! disait-il, ce style, en miaulement de chat en délire, appartiendra peut-être à l’avenir. » Et, en tous cas, il donnait à la jeunesse le conseil de ne point suivre Bruckner dans cette voie, pas plus d’ailleurs qu’il ne fallait tourner les regards vers une autre route tout aussi dangereuse, celle du poème symphonique inauguré par Franz Liszt. Les honneurs vinrent enfin avec le succès. En 1891, malgré la campagne de Hanslick, Bruckner fut nommé Doctor hon. causa de l’Université de Vienne ; à cette occasion, une fête imposante eut lieu en l’honneur du maître. Le juriste Adolf Eyner, musicien accompli autant que savant distingué, prit la parole et rendit à Bruckner un hommage éclatant. Son discours se termina par ces mots qui disent assez en quelle estime il tenait le musicien fêté : « Moi, le rector magnificus de l’Université de Vienne, je m’incline devant l’ex sous-instituteur de Windhag. »

Mais alors que la vie s’ouvrait enfin si belle devant lui, que la gloire rayonnait autour de son nom, que les plus grands maîtres de l’orchestre répandaient ses œuvres dans toute l’Allemagne et l’Autriche, Bruckner, affaibli par l’âge, miné par la maladie, ne connut plus un bonheur complet. Lui, qui avait toujours lutté avec courage et confiance pour sa cause, qu’il savait bonne, ne jouit pas de la victoire si durement remportée. En 1891 encore, il avait commencé la Neuvième et dernière Symphonie (éd. Doblinger, Vienne), qu’il dédia « à Dieu », mais dont il n’acheva que les trois premières parties. Bruckner, qui sentait la fin venir, lui destina, comme finale un Te Deum (éd. Rättig. Vienne) qu’il avait déjà composé en 1884, peu après la Septième Symphonie. Il passa ses dernières années très retiré et presque séparé du monde, attendant la mort comme une douce libératrice. Elle mit fin à ses souffrances subitement presque ; le maître s’éteignit le 11 octobre 1896.

Bruckner fut toute sa vie un bon et simple enfant, naïf et sensible, d’une piété profonde et sincère. Il passa en ce monde comme un étranger ou plutôt comme un homme d’un autre temps ; il aurait tout aussi bien, et même mieux, trouvé sa place dans le monde mystique du moyen âge religieux que dans ce xixe siècle sceptique et enfiévré, où il fut comme « par hasard ». Rien ne put le changer, ni ses voyages à l’étranger, ni sa vie à Vienne, ni ses rap-