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tivés. Les arbres les plus élevés comme les plus petites plantes, lui sont soumis ; il ne faut qu’un esprit observateur et du temps pour appercevoir par-tout ses effets.

Lorsqu’on abat pour la première fois les antiques forêts de l’Amérique, elles repoussent toujours en nature de bois totalement différente, ainsi que je l’ai remarqué dans les parties septentrionales, par-tout où j’ai porté mes pas, c’est-à-dire que là où il y avoit des pins, il croît des chênes, et que là où il y avoit des érables il y croît des noyers, etc. Cette transmutation est si marquée, qu’elle est généralement connue par les habitans, et même les autorise à croire que chaque espèce d’arbre se change en un autre par le seul effet de la coupe. Il en est de même en France, quoique d’une manière moins sensible, parce que les plus vieilles forêts sont jeunes en comparaison de celles d’Amérique ; mais j’ai vu naguères une futaie séculaire de hêtres se remplacer par un taillis de chênes et de charmes. Quel est le cultivateur qui n’ait pas remarqué que les plantes dominantes des prés naturels, ne sont plus les mêmes au bout de quelques années, et qui ne sache que la luzerne ou le sainfoin qu’il vient de semer, disparaîtront de son champ après une pareille révolution de saisons ? Il est peu d’hommes qui ne puissent citer mille faits semblables, tous tendans à prouver que la nature ne se repose qu’en changeant l’espèce de ses productions.

On dira peut-être que ces végétaux étoient près d’arriver, ou étoient même parvenus à ce terme où tendent tous les êtres vivans ! Mais pourquoi ne se sont-ils pas ressemés ? Pourquoi remarque-t-on que les forêts où il y a une grande variété d’arbres également dispersés, les prairies abandonnées à elles-mêmes se trouvent plus rarement dans le même cas ?

On ne peut donc se refuser de croire que chaque espèce de plante absorbant par ses racines les sucs qui lui sont exclusivement propres, en épuise le terrain dans un temps proportionné et à la nature de ce terrain, et à la sienne propre ; que la même plante qui veut y croître ne pouvant plus y trouver suffisamment de moyens de subsistance, même au moment de sa naissance, est étouffée par les autres espèces, auparavant peu nombreuses, mais dont la végétation est devenue plus forte par les raisons ci-dessus.

Le professeur Thouin, qu’on ne peut se lasser de citer, lorsqu’il s’agit d’observations de physique végétale, pense que les racines qui pourrissent dans la terre, communiquent à celles qui appartiennent à la même espèce de plante un principe de mort, tandis qu’elles fournissent un engrais aux autres.

Ce que je dis d’une espèce s’applique, en diminuant l’influence des effets, aux genres et même aux familles établies par les botanistes, lorsqu’ils sont ce qu’on appelle naturels, car il est d’observation que toutes les plantes qui possèdent un certain nombre de caractères communs, ont aussi des facultés et des propriétés analogues, et demandent par conséquent à la terre des sucs peu différens, c’est-à-dire des sucs dans lesquels entrent les mêmes élémens.

Cette considération doit être d’une grande importance aux yeux du cultivateur pour le guider dans sa pratique, parce qu’elle lui apprend qu’il ne faut pas, non seulement faire succéder du blé à du blé dans le même terrain, ou d’autres espèces de céréales, telles que l’avoine et l’orge, mais même du raygrass, du fromental, et autres plantes fourrageuses qui font partie de la même famille.

C’est pourquoi les Anglais qui conduisent, depuis plus d’un siècle, leur agriculture d’après les principes de l’alternat, ne suivent pas un assolement parfait lorsqu’ils se réduisent à cultiver successivement des turneps, de l’orge, du trèfle et du blé, puisque les mêmes plantes se retrouvent trop souvent dans la même terre.

On n’est pas encore complètement d’accord sur la nature des sucs que les plantes, en général, tirent de la terre, et encore moins, par conséquent, sur celle de celui qui est propre à chaque espèce en particulier ; ainsi il ne sera pas question de faire ici des applications, mais seulement de donner quelques préceptes généraux.

Rozier, dans son article Alternat, semble supposer que les sucs dont se nourrissent les plantes, sont identiques, et que les pluies les font continuellement descendre. Par conséquent, il croit que les labours servent principalement à ramener ces sucs à la surface, et qu’il est avantageux de substituer une récolte de plantes à racines pivotantes, à une de plantes à racines traçantes. Mais cette théorie, ni cette pratique, ne peuvent être admises sans modifications. En effet, 1°. il n’est pas certain que les sucs propres à la végétation soient entraînés par les eaux, puisque celles des sources, quelque superficielles qu’elles soient, n’en sont jamais chargées ;