personnes à la fois, à raison de sept centimes et demi par ration de vingt-quatre onces, (ce prix peut diminuer ou augmenter un peu, d’après les proportions de l’abondance des légumes et de leur bon marché) une nourriture fondamentale, et opérer parmi les indigens une révolution dans le mode de se nourrir. Des souscriptions ont été ouvertes dans les différentes contrées de l’Europe, et ont eu un succès tel, qu’on a vaincu leur répugnance, au point que maintenant ils manifestent envers ce genre de secours une prédilection que les préjugés et les critiques tenteroient vainement d’affoiblir. Pourquoi l’usage des soupes économiques ne se répandroit-il pas parmi les citoyens estimables qui, vivant du produit de leur travail, trouveroient dans ces soupes plus de ressources qu’ils ne peuvent s’en procurer avec la même somme d’argent ?
Des traiteurs populaires qui vendroient, dans les quartiers où il y a de grands rassemblemens d’ouvriers, de quoi tremper leur soupe, pourroient venir aux grandes marmites s’approvisionner, ou en préparer chez eux, et en former insensiblement le fonds de leurs cuisines
Le ministre de la marine pourroit également ordonner, dans chacun de nos ports, des distributions pour les ouvriers, et sur-tout pour les matelots dont les humeurs visent au scorbut, maladie si redoutable pour cette classe d’hommes aussi estimable qu’elle est utile. Le célèbre navigateur Cook a dû au régime végétal la conservation de la totalité de son équipage, dans le cours d’un des voyages les plus longs et les plus périlleux qu’on ait encore entrepris.
Que ceux à qui il resteroit encore quelques préventions sur la valeur réelle des soupes aux légumes, au lieu de déplorer, avec un attendrissement affecté, le sort des indigens forcés de s’en nourrir, se transportent dans les cantons les plus reculés des grandes cités, près des hommes des champs, qui ont à vaincre et les chaleurs excessives de la saison, et la fatigue du jour, pour voir et goûter la soupe qu’ils préparent dans leurs chaumières ; ce n’est souvent que de l’eau chaude assaisonnée avec un chétif morceau de lard, et dans laquelle nage un pain noir et compacte ; il n’y en a pas un d’entr’eux qui ne préférât la soupe aux légumes à un pareil potage ; rendons moins indifférens les cultivateurs sur la possibilité d’obtenir, d’une petite quantité de terrain, une grande quantité de subsistances ; montrons-leur à tirer un meilleur parti des ressources locales, et écartons de leurs habitations les maux dont le manque d’alimens ou leur mauvaise qualité sont presque toujours la principale source.
Parmi les améliorations de tout genre introduites dans les hospices civils de Paris, par le conseil général d’administration, l’économie du combustible, une meilleure distribution du calorique et la préparation des soupes aux légumes n’ont pas été oubliées ; mais c’est particulièrement à l’hospice des femmes (la Salpétrière) que l’un de ses membres, M. Richard, d’Aubigny, a fait l’application la plus heureuse des connoissances physiques et chimiques à toutes les parties du service de cette grande maison. La Médecine clinique, par M. Pinel, nous donne le détail de toutes les réformes avantageuses opérées par mon collègue, avec autant de célérité que de prudence et de lumières. Bornons-nous à présenter ici la partie du règlement relative à la cuisine.
Article Ier. La graisse provenant des marmites et des rôtis, est employée préférablement au beurre pour l’assaisonnement des soupes et des légumes.
Art. II. Les potages maigres se préparent avec du premier bouillon fait à raison de cent vingt-cinq pintes d’eau de rivière, et dix livres de différentes plantes potagères pour cent soupes ; lorsque le bouillon est réduit d’un quart par une cuisson lente de cinq heures au moins, on y fait entrer deux livres quatre onces de graisse, ou trois livres de beurre, deux livres deux onces de sel, un gros et demi de poivre et des légumes en purée dans la proportion d’un demi-boisseau pour cent soupes.
Art. III. Les légumes secs trempent dans l’eau de rivière, vingt-quatre heures avant leur cuisson, qui est au moins de cinq heures ; ils sont assaisonnés avec deux livres quatre onces de graisse, ou trois livres de beurre ; deux livres deux onces de sel, un gros et demi de poivre pour deux cents décilitres (cent portions), et ils sont rendus plus sapides par un roux composé avec dix onces de beurre, huit onces de farine et huit onces d’ognons pour deux cents décilitres ; ces préparations achevées, les deux cents décilitres sont saupoudrés de huit onces de ciboule et de persil hachés.
Nous terminerons ces observations sur les avantages que les soupes aux légumes doivent procurer à la société entière, par l’exposé abrégé des principaux points sur lesquels nous avons cru devoir particulièrement insister. Il résulte de ce qui précède :