Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les voyageurs, à leur arrivée dans les auberges, font préparer instantanément avec de l’ognon frit à la poêle, dans un peu de saindoux, de beurre ou de lard, et auquel on ajoute une poignée de farine pour lui donner de la consistante et la propriété alimentaire. Quiconque a suivi les armées, sentira aisément qu’il est impossible d’admettre à leur suite la soupe aux légumes, dite à la Rumford, pour les troupes en campagne, vu la rapidité de leurs mouvemens, la multiplicité des détachemens et l’embarras qu’exigeroit, dans les marches, l’attirail de sa préparation ; la soupe à l’ognon, par la facilité d’en former d’avance des approvisionnemens pour un mois, est un nouveau bienfait pour le soldat, que l’on doit s’efforcer de lui faire connoître et apprécier les avantages sous les rapports de la santé et de l’économie, dans toutes les circonstances où les évènemens de la guerre peuvent le placer.

Soupe aux légumes. On trouve, dans un écrit imprimé à Saintes, en 1680, et publié par un missionnaire, la composition de deux soupes économiques, l’une destinée pour les pauvres et l’autre pour les personnes riches ; l’orge et les semences légumineuses, et sur-tout les haricots, en forment la base, ce qui leur donne une grande analogie avec les soupes à la Rumford, et semble faire croire que ces soupes appartiennent originairement à la nation française.

Loin de nous cependant la pensée d’affoiblir la reconnoissance qu’on doit à ce philosophe bienfaisant, en revendiquant une partie de ce qu’il a fait pour le soulagement des pauvres, et pour arrêter la mendicité à Munich, où ses lumières et sa philanthropie laisseront un long souvenir. Ce qu’on ne pourra jamais lui ravir, c’est l’idée d’avoir établi des ateliers de subsistances, des cuisines publiques où les pauvres, comme l’ouvrier, peuvent se procurer, à un prix très-modique, un aliment tout à la fois substantiel et salubre, en mettant à profit les lumières que la physique et la chimie offrent maintenant dans les laboratoires pour une meilleure distribution de la chaleur.

En portant les regards sur les élémens principaux dont ces soupes sont composées, on voit qu’ils appartiennent à des végétaux dont l’usage nous est très-familier, qu’ils conviennent à tous les climats, à tous les terrains et à tous les aspects ; que leur culture est facile, et leur récolte plus certaine, plus abondante que celle de la plupart des autres productions.

Examinant ensuite dans la classe des semences farineuses, quelle est celle qui doit avoir la préférence pour la préparation des soupes économiques, nous ne formerons aucun doute que ce ne soit l’orge. Depuis Hippocrate jusqu’à nous, ce grain constitue, sous différentes formes, le régime des malades ; il est présenté dans tous les ouvrages diététiques comme un aliment médicamenteux. Les autres bases de cette soupe sont les haricots et les pois, sur-tout les pommes de terre, dont l’utilité est aujourd’hui généralement reconnue.

Le beurre, l’huile, le lard, le saindoux, la graisse de veau et d’oie, le suif de bœuf et de mouton, peuvent être indifféremment employés à la confection des soupes. Mais il n’y a pas de gourmet qui ne sache très-bien que la graisse du pot et de rôti méritent la préférence ; cette dernière sur-tout, parce qu’ayant éprouvé une sorte de torréfaction, elle jouit, dans cet état, d’une sapidité infiniment plus marquée, qui relève la fadeur des autres substances. M. Bourriat, dont le zèle pour tout ce qui est utile aux pauvres est sans bornes, nous a communiqué d’excellentes observations sur la préparation de la graisse la plus convenable pour ce genre d’aliment ; nous allons en insérer ici un extrait.

Préparation de la graisse pour les soupes aux légumes. En considérant les propriétés les plus générales des corps gras, on remarque qu’ils ont, entr’autres, celles d’absorber les principes aromatiques avec lesquels ils se trouvent eu contact pendant leur exposition au feu ; ils les retiennent même, quoique chauffés à une température assez élevée ; on en a la preuve dans la graisse de rôti, dans celle qu’on retire sur le bœuf à la mode et sur les autres viandes cuites ainsi dans leur jus ; on retrouve dans les légumes accommodés avec ces graisses la saveur de la viande rôtie qui l’a fournie, et les aromates qui ont été ajoutés au bœuf à la mode.

La graisse du pot au feu ne possède pas à un si haut degré cette propriété ; il est facile d’en donner la raison ; le pot au feu, pour m’expliquer vulgairement, est une décoction de viande et de légumes dans une certaine quantité d’eau : or, dans cette circonstance, les sucs et l’arôme de la viande se trouvent beaucoup plus délayés que dans les circonstances précédentes ; cependant la graisse, quoique moins sapide à cause de la privation de l’extrait de la viande, conserve un arôme plus délicat qui la fait rechercher par les pâtissiers pour la préparation des pâtés feuilletés, et pour donner à la friture plus de finesse et de sécheresse ;