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bien mûrs et bien sucrés, est le meilleur ; cependant celui-ci se conserve moins bien que e précédent, parce qu’il paroît que la matière astringente et extractive garantit de la fermentation.

Le prix modique auquel se vend communément le raisiné, n’a pu le soustraire à la falsification : lorsque les fruits ont été rares et chers, les épiciers ont imaginé, pour y suppléer, une autre composition qu’ils font avec de la mélasse délayée dans l’eau, de vieilles poires tapées ou des pruneaux détériorés, et ils la mêlent dans la proportion d’un tiers environ avec le véritable raisiné.

La conservation du raisiné et des autres marmelades analogues dépend de la manière dont on les a préparés, et des matières qui entrent dans leur composition. Le raisiné est de bonne qualité, quand il est doux, moelleux, légèrement astringent au goût et ayant la consistance d’un miel grenu ; il suffit de l’étendre dans l’eau, à l’instar des sirops acides de groseilles et de framboises ; il peut remplacer par conséquent les sirops préparés avec ces fruits, dont on fait usage pendant les vives chaleurs de l’été ; mais il seroit plus simple, plus commode et en même temps plus économique de s’arrêter, dans la préparation du raisiné, au moment où il a atteint la consistance de sirop ; cette ressource de ménage a encore été l’objet de nos expériences.

Le raisiné est la confiture la moins chère pour tous les ordres de citoyens. Il y a peu de ménagères qui, dans les cantons vignobles, n’en préparent leur provision pour l’hiver ; c’est la ressource de la famille pour le déjeuner et le dessert ; les vignerons qui, pour cette préparation, ne prennent pas beaucoup de précautions, n’obtiennent qu’un raisiné d’un goût âcre de caramel ; il devient très-utile dans les hospices civils, où il s’agit de donner aux infirmes et aux vieillards une confiture capable de réveiller leurs organes ; on peut en faire une boisson rafraîchissante très-agréable.

Sirop de raisins. Il arrive souvent qu’au lieu de poursuivre l’évaporation du moût ou vin doux jusqu’à la consistance dû raisiné, on s’arrête au moment où le liquide a acquis l’état sirupeux ; et il n’y a pas de doute que cette préparation, à laquelle on n’a peut-être pas donné une attention assez suivie, ne trouvât une application utile dans une foule de circonstances.

L’art de concentrer ainsi le moût au moyen du calorique étoit déjà connu et pratiqué par les Lacédémoniens. Les Espagnols, après avoir exprimé le suc de raisin, y ajoutoient du plâtre nouveau qui, ayant la propriété de décomposer le tartre, diminuoit par conséquent la quantité de celui qui existoit, et son caractère acide dans ce liquide.

C’est d’après cette double propriété qu’on a proposé, dernièrement, de mettre un peu de craie dans le suc de raisin, pour en obtenir un sirop moins aigrelet. Voici quelques expériences que j’ai faites, toujours dans la vue d’économiser le sucre, de tirer parti des productions locales et de les améliorer.

On a pris six livres de suc de raisins noirs, parfaitement mûrs, exprimés avec soin, ayant une couleur rougeâtre trouble, une saveur sucrée, aigrelette et mucilagineuse ; on l’a placé sur un feu modéré et on l’a fait cuire en consistance de sirop après l’avoir clarifié avec l’albumen ; ce sirop étant acidulé, déposoit, en se refroidissant, une matière épaisse de couleur rougeâtre semblable à la liqueur.

D’après l’examen particulier de cette substance, on remarque qu’elle fournit une grande quantité de tartrite acidulé de potasse, unie à beaucoup de mucoso-sucré ; la liqueur plus limpide qui surnageoit contenoit, outre une portion considérable de matière sucrée, des acides maliques et acéteux, et sans doute, de l’acide tartreux en petite quantité. L’abondance de cette matière mucilagineuse sucrée, contenue dans ce sirop, y auroit bientôt développé un mouvement de fermentation, malgré le degré de cuisson auquel on l’avoit réduit ; mais il est possible de prévenir cette fermentation à la faveur d’une once d’eau-de-vie par livre de sirop. Les six livres de moût employées, ont produit une livre trois onces de sirop très-cuit.

Pour enlever les acides contenus dans le moût, on peut employer divers procédés : le point essentiel est de trouver une base qui, se combinant avec eux, en forme des sels insolubles, qu’on peut séparer ensuite de la liqueur. Il est possible, par la simple décantation, de dépouiller une portion de la crème de tartre ; et, comme l’acide tartreux forme avec la chaux un sel insoluble, on peut l’enlever par ce moyen. Si l’on emploie, dans ce procédé, du carbonate calcaire ou de la craie, la seule portion libre d’acide tartreux se combine avec la chaux ; mais la portion de potasse qui tient la crème de tartre tartrite, l’acidule de potasse, demeure unie à l’acide tartreux, et forme du sel végétal tartrite de potasse. Si l’on se sert, au contraire, de chaux vive, on com-