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oies que l’on vend ainsi, sont jeunes sans être engraissées ; elles coûtent cinquante sous et trois livres. Elles fournissent quatre quartiers, sans compter les abatis ; de manière que la soupe et le dîner de l’artisan ne lui coûtent au plus que douze sous.

Première méthode. Lorsqu’on n’a que quelques oies à engraisser, on les met dans une barrique à laquelle on a pratiqué des trous, par où elles passent la tête pour prendre leur nourriture ; mais comme cet oiseau est vorace, et que chez lui la faim est plus forte que l’amour de la liberté, il s’engraisse facilement, pourvu qu’on lui fournisse abondamment de quoi avaler. C’est ordinairement une pâtée composée de farine d’orge, de blé de Turquie ou de sarrasin, avec du lait et des pommes de terre cuites.

Le procédé usité par les Polonais pour engraisser promptement les oies, est à peu près le même ; il consiste à faire entrer l’oison dans un pot de terre défoncé, d’une capacité telle qu’il ne permette pas à l’animal de s’y remuer d’aucun côté ; on lui donne à discrétion la pâtée dont il vient d’être question. Le pot est disposé dans la cage de manière à ce que ses excrémens n’y restent point. À peine les oies ont-elles séjourné quinze jours dans une pareille prison, qu’elles acquièrent tant de volume, qu’on est forcé de briser les pots pour les en tirer.

Seconde méthode. Aussitôt que les oies ne trouvent plus à glaner dans les chaumes, et qu’elles ont ramassé les grains restés sur l’aire, elles sont renfermées, douze par douze, dans des loges étroites et assez basses pour qu’elles ne puissent se tenir debout, ni faire beaucoup de mouvement. On les entretient proprement, en renouvelant souvent leur litière. On enlève à chacune quelques plumes sous les ailes et autour du croupion ; on met dans une auge tout le blé de Turquie, préalablement cuit, qu’elles peuvent consommer, et, dans une écuelle, de l’eau en abondance. Dans les premiers jours, elles mangent beaucoup et à tous momens ; mais leur appétit diminue au bout de trois semaines environ, et dès qu’on s’aperçoit qu’elles commencent à le perdre tout à fait, alors on les souffle ou on les gorge d’abord deux fois par jour, et ensuite trois fois. Pour cet effet, on introduit dans le jabot de l’animal du grain à l’aide d’un instrument ; c’est un entonnoir de fer-blanc dont le tuyau, long de cinq pouces et demi et de dix lignes de diamètre dans toute sa longueur, a le bout coupé en bec de flûte et arrondi, formant un petit rebord soudé et uni pour prévenir toute écorchure nuisible à l’animal ; à ce tuyau s’adapte un petit bâton pour en faire couler la graine. La ménagère, accroupie sur ses genoux, après avoir mis l’instrument dans le cou de l’oie, qu’elle tient d’une main, de l’autre elle prend du grain qui est à sa portée, le laisse tomber doucement, et le baguette à fur et mesure, afin qu’il n’en reste point dans l’entonnoir ; par intervalles, elle met sous le bec de l’animal une écuelle d’eau fraîche. En Alsace, on recommande d’ajouter au fond de l’écuelle une poignée de gravier fin et un peu de charbon pulvérisé, dans la persuasion que cette boisson contribue à engraisser plus vite l’oie, à faciliter le passage du maïs, et à faire grossir davantage le foie. D’autres indiquent des levures de vaisselles ; et lorsqu’elle s’aperçoit que son jabot est à peu près rempli, elle la quitte pour en reprendre une autre.

Cette opération, quoique praticable par toute personne, est cependant assez délicate pour n’être confiée qu’à des mains adroites. Il faut tenir de l’eau dans la loge ; car une nourriture forcée et surabondante les altère beaucoup et