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projet irréfléchi, sur-tout à une époque où les approvisionnemens de quatorze armées et les ravages de la guerre civile dans les parties de la France les plus riches en bestiaux, faisoient éprouver la rareté de la viande de boucherie ; où le silence des lois sembloit encourager la licence à la destruction totale des poissons dans les rivières ; où la pêche maritime étoit sans activité ; où, enfin, presque toutes les sortes de gibier avoient disparu. Certes, c’est avec de pareilles mesures que l’abondance s’éloigne, pour faire place à la disette et à la famine.

L’on peut voir, au mot Carpe, combien est considérable la consommation de cette seule espèce de poisson dans la ville de Paris. Si l’on y ajoute les tanches, les brochets et les perches que les étangs fournissent à cette capitale, on jugera des ressources dont elle auroit été privée, et de la perte que le commerce auroit éprouvée. C’est des départemens de Seine et Marne, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Côte-d’Or, de l’Aube, de la Nièvre, de l’Allier, du Cher, de l’Yonne, du Loiret, que le poisson d’étangs afflue à Paris ; et ce commerce se monte annuellement à plus de deux millions. Le seul arrondissement de Saint-Fargeau envoie, année commune, plus de soixante mille, tant carpes que brochets ; lesquels, estimés seulement à un franc pièce, font une somme de soixante mille francs. Les grandes villes, dans le voisinage desquelles il existe des étangs, y trouvent, ainsi que Paris, une ressource utile dans les poissons qu’ils y envoient ; et les habitans des campagnes, auxquels la facilité de transporter les carpes vivantes permet d’offrir ces poissons en hiver, saisissent avec empressement ce moyen peu coûteux de faire quelquefois une diversion salutaire à l’uniformité de leurs repas.

D’un autre côté, les étangs sont, pour ainsi dire, les pépinières où se forment et se propagent les poissons qui vont ensuite peupler les eaux des fleuves et des rivières. C’est le long de leurs bords tranquilles et ombragés que les poissons aiment à déposer et à féconder leurs œufs. Ces actes de leur multiplication n’y sont point interrompus ni par la rapidité du courant, ni par la marche et les cris des riverains, ni par les mouvemens de la navigation. Les petits, à peine éclos, s’échappent par milliers à travers les grils, les palissades, etc., et se laissent entraîner dans les ruisseaux et les rivières, où ils prennent un accroissement rapide. Les crues des étangs facilitent aussi la sortie d’une quantité de gros poissons dont la chair acquiert une chair plus ferme et plus savoureuse dans les eaux courantes, et qui deviennent l’objet de la recherche des pêcheurs et de l’avidité des gourmands.

Ainsi, sous les rapports de l’abondance et d’une utile diversité des subsistances, d’un genre de commerce fort actif et du revenu public, les étangs contribuent à la prospérité générale : ils y contribuent non moins puissamment sous plusieurs autres aspects auxquels il n’est pas superflu de donner quelques développemens, pour effacer les préventions qui peuvent subsister encore contre ces réservoirs d’eau, représentés dans quelques écrits comme extrêmement nuisibles.

Une des principales objections qui ont été énoncées contre les étangs, c’est le tort que l’on prétendoit qu’ils faisoient à l’agriculture, par la perte des terrains qu’ils occupent. D’abord, le nombre des étangs en France n’est pas aussi considérable que leurs antagonistes l’avoient annoncé, et il a encore été réduit, ainsi que je l’ai déjà remarqué, par l’exécution trop prompte de la loi portée par la Convention nationale ; en second lieu, presque tous les étangs sont mis alternativement en eau et en culture. Après