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chasse étoit en grande estime ; on la regardoit comme un exercice noble et glorieux, qui contribue à la santé, même à la réputation.

Romanis solemne viris opus, utile famæ
Vitæque et membris, etc.

Horat. Epist. xviii, Lib. i.

« C’étoit autrefois, dit Pline, avec son éloquence ordinaire, dans le Panégyrique de Trajan, le plus doux plaisir de la jeunesse, de poursuivre à la course les bêtes fugitives, de vaincre par la force les plus courageuses, de surprendre par adresse les plus rusées ; et on ne remportoit pas peu de gloire pendant la paix, quand on savoit éloigner des campagnes les bêtes féroces, et mettre les laboureurs à couvert de leur irruption. Ceux mêmes d’entre les princes qui pouvoient le moins prétendre à cette sorte d’honneur, ont voulu se l’attribuer. Ils faisoient renfermer des bêtes fauves, et après qu’une partie de leur férocité avoit été domptée, on les lâchoit, et on se moquoit de ces empereurs qui tiroient vanité d’une fausse adresse quand ils les avoient tuées. Trajan joint la peine de les chercher à celle de les prendre ; et le plus grand, le plus agréable plaisir pour lui, c’est de les trouver. »

Nos aïeux ne le cédèrent ni aux Grecs, ni aux Romains, dans l’amour de la chasse ; ce fut, après la guerre, celui de tous les exercices dont les anciens Français s’occupèrent le plus, et ils passèrent pour la nation qui possédoit le mieux cet art : Vix ulla in terris natio quæ, in hac arte Francis possit æquiparari, disoit Eginard. Aussi faisoit-on entrer dans l’éducation des princes et des grands, comme un des principaux objets d’enseignement, l’art d’élever, de dresser et de se servir des chiens et des oiseaux de chasse. Nous avons de très-bons traités sur ces matières, composés en notre langue, dès le seizième siècle. Un Milanais, Guillaume Botta, écrivit, en 1250, un ouvrage fort étendu sur la chasse, qu’il dédia à Charles d’Anjou, comte de Provence. Les livres sur le même sujet se sont multipliés depuis ces époques reculées, jusqu’à nos jours, et leur nombre prouveroit, si nous ne le savions d’ailleurs, que le goût de la chasse n’a pas cessé d’être dominant chez les Français. On peut se rappeler que la chasse faisoit l’occupation la plus sérieuse de la plupart des seigneurs de campagne, auxquels on donnoit plaisamment le sobriquet de gentilshommes à lièvre, ou de hobereau, du nom d’un oiseau de proie, grand destructeur de gibier. Avec quelle chaleur ne racontoient-ils pas les peines qu’ils avoient prises, les marches et contre-marches que les ruses d’un animal fugitif les avoient forcés de faire, les événemens imprévus qui les avoient mis en défaut, le plaisir qu’ils avoient éprouvé en faisant tomber la proie sous leurs coups, ou le dépit de n’avoir pu s’en emparer ! Si leurs récits n’étoient pas toujours exempts de l’exagération, qui a fait plus d’une fois douter de la véracité des chasseurs, ils montroient du moins que la chasse passoit pour une affaire de grande importance, et capable d’exciter l’enthousiasme.

Dans les pays d’Europe où il reste des traces du régime féodal, l’exercice de la chasse n’appartient qu’à la noblesse ; c’est un des privilèges dévolus à cet ordre de citoyens, vraisemblablement comme une récompense des services militaires rendus à l’État. Il en étoit de même en France avant la révolution qui, en ébranlant les masses énormes, antiques soutiens de la monarchie, a occasionné un bouleversement général, dont les commotions se sont fait sentir au loin. La tyrannie vraiment barbare que les chasseurs privilégiés exerçoient envers