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doigts des pieds joints par une large membrane.

Le mâle de l’espèce du canard sauvage se distingue par les riches couleurs qui brillent sur son plumage, et par une petite boucle de plumes relevées en demi-cercle sur le croupion. Un petit collier blanc sépare le vert d’émeraude dont la tête et la moitié du cou sont parées, du beau brun pourpré qui couvre le bas du cou en devant, ainsi que la poitrine ; le croupion est d’un noir changeant en vert foncé, et le reste du corps est rayé de noirâtre sur un fond gris. Cette dernière couleur est celle de la queue et des ailes ; mais celles-ci portent sur leur milieu une bande d’azur avec une double bordure blanche et de bleu velouté. Les yeux sont bruns, et les jambes d’un orangé vif ; un mélange de jaune et de vert couvre le bec. L’habit de la femelle est moins brillant ; et, à l’exception de la tache de l’aile qui a de l’éclat, moins cependant que dans le mâle ; son plumage ne présente que deux nuances ternes et sombres, le brun, et le gris teint de roux.

Les canards voyagent pour ainsi dire sans cesse ; ils passent et repassent d’un pays à un autre, et on les voit dans presque toutes les parties du monde. Ils volent par troupes rangées en triangle régulier ; leur vol est élevé, sifflant, et il ne s’exécute guères que pendant la nuit. Les contrées les plus septentrionales sont leur vraie patrie ; ils ne viennent dans les pays tempérés qu’au commencement de l’hiver, et ils y sont les précurseurs des frimas. Les bords de la mer, les marais, les étangs, les rivières sont les lieux où ils vivent presque toujours plusieurs ensemble. Lorsque la gelée durcit la surface des eaux dormantes, ils gagnent les sources et les courans ; mais, dans les climats du nord, ils se réunissent en prodigieuse quantité, et ils y couvrent les lacs et les rivières ; c’est là qu’avant la fin de nos hivers, ils se rendent de toutes parts pour y nicher. Cependant ils n’abandonnent pas tous les eaux de nos contrées ; on y en trouve pendant l’année entière ; ils y font leurs couvées ; ils y restent, par exemple, en assez grand nombre dans les étangs de l’Auvergne, pour que les habitans des villages voisins puissent faire, en été, une ample provision des œufs de ces oiseaux.

Ces œufs, qui sont fort bons à manger, forment une ressource importante pour quelques nations. En Islande, on les amasse par milliers, et au delà de ce que les habitans peuvent en consommer. Au Tonquin, on les conserve avec une pâte composée de brique pilée et de sel, dont on les enduit ; mais on n’en mange que le jaune, qui sert d’assaisonnement à d’autres mets.

À l’époque des couvées, les canards s’apparient, non sans que les mâles se soient livré de rudes combats pour la possession des femelles. Les deux sexes sont animés d’une égale ardeur, et ces oiseaux sont aussi lascifs que voraces. Leur nid consiste en joncs plies ou coupés, et ils le posent plus ordinairement au milieu des eaux, sur des touffes de plantes aquatiques, quelquefois dans les bruyères, sur des meules de paille, et même sur de grands arbres. Dans quelque position que ce nid soit placé, la femelle a soin de le garnir, à l’intérieur, du duvet qu’elle s’arrache elle-même sous le ventre. Elle couve seule pendant trente jours ; le même jour voit éclore les canetons d’œufs obtus et blanchâtres ; chaque couvée est communément de seize petits qui, presque aussitôt leur naissance, vont à l’eau avec leur mère. Si le nid est dans un lieu trop élevé, pour que les nouveaux nés puissent en descendre sans risque, le père et la mère les prennent à leur bec et les transportent à l’eau l’un après l’autre. Les canetons, long-temps couverts d’un duvet jaunâtre, ont bientôt