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ser le temps des frimas dans des pays où ils sont inconnus. Arrivées sur les bords de la mer, elles se hasardent au dessus d’un élément qui doit les engloutir, si leur vigueur s’épuise par les grands efforts que doivent faire leurs petites ailes : elles ne partent que par un vent qui les aide, et les porte dans la route uniforme dont elles ne s’écartent point ; elles vont ainsi d’île en île, et quelquefois de vaisseau en vaisseau, jusqu’à ce qu’elles soient parvenues aux rivages du continent où la chaleur et l’abondance de la nourriture les pressent, malgré tant de périls, de se réfugier pendant la mauvaise saison : mais si, dans ces passages vraiment prodigieux par la longueur du trajet, la multitude innombrable de cailles qui l’entreprennent, et l’extrême foiblesse de leurs moyens, le vent vient à changer, ou à souiller avec violence, la force les abandonne, elles ne peuvent plus se soutenir, et elles tombent dans les flots, dont elles avoient déjà tant de peine à raser la surface. J’ai vu souvent, en navigant dans la Méditerranée, de ces malheureux oiseaux s’efforcer à gagner un vaisseau pour se mettre à l’abri, ne pouvoir s’élever jusqu’au pont, se heurter rudement contre le corps du bâtiment, et disparaître, étourdis par le coup, au milieu des eaux.

Quelques pertes qu’éprouvent les nombreuses cohortes de ces oiseaux dans des traversées auxquelles ils ne paroissoient pas destinés, des dangers bien plus grands les suivent pendant leur route, et augmentent encore à leur arrivée. Les îles dont la mer Méditerranée est parsemée, les vaisseaux qui en sillonnent la surface, loin d’être des points de repos, ou des asiles assurés, deviennent des lieux de destruction : trop fatiguées pour fuir, les cailles se laissent prendre aisément sur des navires, ou des rivages inhospitaliers ; par-tout la mort attend ces foibles voyageuses ; et l’on est étonné, qu’expose à tant de périls et de pertes, l’espèce ne soit pas plus appauvrie qu’elle ne l’est.

J’ai dit que les cailles ne s’écartoient point d’une route uniforme, dont la direction reste, chaque année, la même, suivant les divers points de départ ; on les voit passer à l’automne, et repasser au printemps dans les mêmes endroits. Il est plusieurs îles de la Méditerranée, telles que l’île de Rhodes, où les cailles ne paraissent pas, tandis qu’elles abondent constamment dans d’autres, à l’époque du passage. L’île de Malte est une de celles où ces oiseaux abordent ; ils se rassemblent aussi en très-grand nombre dans presque toutes les îles qui avoisinent la partie méridionale de l’Italie. On en prend une si grande quantité dans l’île de Caprée, à l’entrée golfe de Naples, que le produit de cette chasse fait le principal revenu de l’évêque, appelé, par cette raison, evescovato delle quaille, (évêque des cailles) et qu’on les porte dans les villes voisines, principalement à Naples, où elles ne coûtent que quatre ou cinq sous la douzaine. On en prend aussi beaucoup dans les environs de Pesaro, sur le golfe Adriatique, et près de Nettuno, sur la côte occidentale du royaume de Naples. Les habitans de Nettuno, qui s’adonnent à cette chasse, en font passer le produit jusqu’à Rome ; et le terrain où elle se fait est d’une cherté exorbitante.

Un grand nombre de cailles s’arrêtent pendant quelques jours à Lipari ; d’autres s’arrêtent également à Cérigo, l’ancienne Cythère, pour se reposer de leur pénible trajet. Là, de même qu’à Mayne, et à quelques endroits des côtes de la Morée, on les sale, et on les transporte dans plusieurs des îles de l’Archipel grec, où elles ne se montrent pas. Il en passe une quantité surprenante à Tine, et sur-tout à Santorin ; les habitans de