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d’en tenter l’application en France, et d’en enrichir notre agriculture. Son domaine de Liancourt tut le théâtre de ses expériences et de ses nobles travaux ; il rendit compte de ses récoltes et de ses dépenses : tout fut pesé, apprécié consciencieusement, comme il le dit lui-même, et il finit par se convaincre des grands avantages que produit le plantage du blé. « Je n’hésite pas à penser, m’écrivoit cet homme respectable, que, par-tout où l’on trouve des bras, le plantage du blé est extrêmement avantageux, et même préférable à la charrue à semoir, qui l’est elle-même beaucoup au mode ordinaire. Aussi, je ne sème plus ni blé, ni seigle, ni orge, ni même d’avoine quand elle est chère… Mon expérience de cette année (1803) ajoute encore à ma conviction.

» J’ai planté 2,198 perches de vingt-deux pieds, avec deux sacs et demi de blé, mesure de Clermont (Oise)[1] ; poids total de la semence, 20 livres. J’ai obtenu 7,998 gerbes de beau blé, dont le poids en grain, d’après ce que j’en ai déjà fait battre, ne peut être élevé-au dessous de 62,000 livres. Ma dépense en plantage a été au dessous de cent livres. Si l’on veut se rappeler qu’au temps des dernières semailles le blé valoit ici 52 livres le sac, du poids de 290 livres, ou se convaincra des profits de cette méthode, seulement par l’économie de la semence. J’ai la conviction intime que ma récolte est plus abondante que par toute autre méthode… Chacun peut voir ma culture et en juger : je prête mes plantoirs à qui m’en demande, et je jouis quand, me promenant dans les champs, je vois des pièces plantées en froment, seigle, etc. ; je reconnois que la vérité fait annuellement des progrès, et que mes exemples l’aident mieux que ne pourroient faire mes leçons. »

La méthode que suit M. de Liancourt dans le plantage des grains, a beaucoup de rapport avec celle des cultivateurs de Norfolck et de Suffolck. Lorsque le terrain a reçu le dernier labour, on y passe un léger rouleau ; un homme marche ensuite à reculons sur une bande retournée par la charrue, et, tenant dans chaque main un plantoir à deux dents, il fait quatre rangées de trous à quatre pouces de distance l’un de l’autre : quatre enfans le suivent et laissent tomber deux ou trois grains dans chaque trou ; une herse d’épines termine ce travail en recouvrant le grain. Le plantoir dont M. de Liancourt s’étoit d’abord servi avoit les dents faites d’un bois dur ; il l’a remplacé par un plantoir en fer, appesanti par du plomb, qui fatigue moins l’ouvrier, et rend les trous plus uniformes. Ces trous ont douze, quinze et même dix-huit lignes de profondeur, selon que le sol est plus ou moins léger ; un gros fil d’archal, mis en travers de chaque dent, empêche que l’ouvrier n’enfonce le plantoir au delà de ce qui est nécessaire. Les quatre enfans qui suivent les ouvriers se tiennent à la file et sont chargés d’une rangée longitudinale de trous, en sorte qu’aucun ne peut oublié.

Toute terre susceptible de rapporter du grain par la méthode de semer, est également bonne pour le plantage, suivant M. de Liancourt : il a calculé que, par ce dernier procédé, y a économie d’à peu près les quatre cinquièmes de la semence ; et les récoltes sont au moins égales à celles de la méthode ordinaire ;

  1. « J’ai suivi, dans ce compte, les mesures de grains de Clermont, où le setier est d’un sixième plus fort que celui de Paris, et se divise en quatre mines, seize quartiers, et cent pintes.» (Note de M. de Liancourt.)