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Quoique, depuis un temps immémorial, les cultivateurs du Norfolkshire soient dans l’usage d’ensemencer leurs champs de pois avec le plantoir dont je viens de parler, cette méthode ne s’est étendue au blé que depuis les expériences de M. Carter, c’est-à dire depuis environ vingt ans, et il n’y en a guères que dix qu’elle est devenue très-commune dans quelques districts, principalement aux environs de Windham, d’Attlebury, de Buckenham, d’Harling, ainsi que dans la partie du Suffolck qui touche le comté de Norfolck, cantons de l’Angleterre où, la culture a acquis le plus de célébrité. À l’exception d’un très-petit nombre de riches propriétaires, qui se livrent à des essais suggérés par une louable curiosité, personne ne suit cette méthode dans les autres contrées.

Il n’en fut question en France que vers la fin de 1793 ; encore ne fut-ce que par forme de conseil, sans qu’aucune expérience en ait été la suite. Soit que M. Adorne, physicien de Strasbourg, ait eu connaissance des expériences des Anglais, soit qu’il ait conçu le même plan de culture, il proposa, dans la Feuille du Cultivateur, comme un moyen d’augmenter l’abondance des grains, de planter le blé, aussi bien que le seigle et l’orge, dans une terre bien préparée, grain par grain, à trois pouces de profondeur, et à neuf de distance. Il conseilloit de se servir d’un bâton pointu ou plantoir, qui auroit neuf pouces de long, et qui porteroit, à trois pouces de sa pointe, une cheville destinée à empêcher qu’on ne l’enfonçât en terre plus profondément que de trois pouces. Au moyen de cet instrument, M. Adorne pensoit que quatre personnes pourroient aisément planter un arpent de terre par jour.

En applaudissant au zèle éclairé dé M. Adorne, les rédacteurs de la Feuille du Cultivateur désiroient que son plantoir reçût une perfection dont ils le croyoient susceptible. « Cet instrument, disoient-ils, n’a que neuf pouces de haut, et cette longueur est utile pour déterminer les espaces ; mais, indépendamment de la posture courbée et fatigante à laquelle il contraint celui qui s’en sert, à cause de son peu de longueur, il nous semble que le double usage auquel on l’emploie, rend l’opération plus lente. Nous voudrions que ce plantoir fût à la hauteur d’un homme debout, tel à peu près que celle de la houe américaine, et qu’on fît servir à espacer la cheville qui est à trois pouces du bout inférieur du plantoir, afin de l’empêcher d’enfoncer plus avant. Rien ne seroit plus aisé ; il suffiroit de donner à cette cheville horizontale la longueur de neuf pouces, et que son extrémité recourbée à cette distance, marquât le point où il faut enfoncer le plantoir après le trou que l’on fait. Pour rendre cette cheville plus solide et plus commode, on pourroit la fabriquer en fer. Celui qui feroit les trous pourroit, par ce moyen, aller beaucoup plus vite et sans se fatiguer ; il seroit suivi d’enfans où de femmes qui mettroient un grain dans chaque trou et le recouvriroient de terre. »

À l’époque où ces idées d’utilité publique occupoient de bons esprits, le fracas révolutionnaire empêcha sans doute qu’elles ne fussent accueillies ; elles tombèrent dans l’oubli au moment même de leur publication, et elles ne reparurent avec succès que six ou sept ans après, dans des temps moins malheureux, appuyées d’un nom célèbre dans les fastes de la vertu et de l’humanité. M. de Larochefoucault-Liancourt avoit suivi avec soin, pendant plusieurs années, les procédés et les résultats de la plantation du blé en Suffolcksbire ; il en avoit reconnu les avantages, et il résolut